1888
Fabliaux
gaillards
|
Coco
I
Comme
son nom l'indique, un simple perroquet. Magnifique alors, pour être
le digne héros d'une aventure! Non! ma foi! Un médiocre perroquet,
de petite taille, d'un vert douteux avec quelques plumes
sanguinolentes aux ailes, le perroquetus vulgaris des
concierges; mais méchant et désagréable comme les autres –
j’entends les perroquets et non les concierges, ne voulant pour rien
au monde me mettre mal avec une corporation qui nous peut fermer au
nez la porte ou nous chiper nos lettres. - Alors qu'avait donc ce Coco
de si intéressant? Tout simplement la place qu'il tenait dans la vie
d'une fort jolie femme. Etait-ce donc un présent d'amour, le souvenir
d'un retour des Indes impatiemment
attendu? Pas du tout. Madame Filosa était une très vertueuse
personne et qui fréquentait chez mes parents, quand j'étais beaucoup
plus jeune qu'aujourd'hui. Elle était blonde, blanche, appétissante
comme un morceau de pain frais, avec un sourire qui montrait de jolies
petites dents nacrées. Je la revois encore et je crois bien que j'en
étais un peu amoureux comme de toutes les dames grassouillettes qui
venaient en visite à la maison. J'étais lunatique (j'entends non pas
fantasque, mais amateur de pleines lunes) dès mes jeunes années.
Coquelin cadet ,
le joyeux auteur du Rire,
prétend que j'ai dû naître à
Saint-Lunaire.
Mais non, je suis né tout bêtement à
Paris, tout en m'enorgueillissant d'être de Toulouse la Romaine. Ah!
il y avait un Monsieur Filosa, un petit homme devant sa femme, bien
qu'il mesurât une haute taille et une ampleur imposante. On m'a
souvent conté, dans ma famille, le martyre dont était l'objet ce
pauvre homme qui relevait de l'Enregistrement ou des contributions
indirectes, je ne sais plus au juste lequel des deux, dans le cheflieu
d'arrondissement que nous habitions alors. Or, Coco était
précisément l'instrument de torture au moyen duquel Madame Filosa,
excellente tortionnaire, Torquemada femelle, tourmentait le benoit
fonctionnaire que ses parents lui avaient donné en justes noces,
comme on disait dans le Code latin. Coco était le dieu de la maison,
et le pauvre époux en était le domestique. Coco jouissait de
licences sans nombre et Monsieur Filosa n'osait dire: ouf! chez lui,
même quand il faisait très chaud. Coco parlait
mal mais un peu. Il comptait aussi. Tout le monde devait faire
silence pour l'écouter. Un jour qu'il avait compté jusqu'à cinq, M.
Filosa eut le tort de l'interrompre en éternuant, ce qui est
cependant un acte bien involontaire. Sa femme le traita d'imbécile,
d'impertinent et de jaloux et ajouta: - On voit bien que vous n'êtes
jamais allé jusque-là!... Parbleu! Coco avait son perchoir nocturne
tout près de l'oreiller de Madame, et Monsieur couchait seul dans un
autre lit, sous prétexte qu'il ronflait et empêchait Coco de dormir.
Une autre fois, le perroquet eut une espèce de
fluxion qui lui souleva l'œil gauche, lequel clignotait déplorablement
avec un papillottement d'or changeant. - La pauvre bête est bien
défigurée? hasarda de dire ce pauvre Monsieur Filosa. - Il serait à
souhaiter que vous lui ressembliez! lui répondit aigrement sa femme.
II
Un
jour, Coco dont la fluxion était cependant guérie, se mit à ne plus
parler ni compter. Ce mutisme inattendu
mit sa maîtresse dans une inquiétude mortelle. Elle prétendit tout
d'abord que c'était son mari qui avait blessé la légitime
susceptibilité de l’animal en lui coupant la parole. Monsieur
Filosa dut faire ses excuses au perroquet qui les accueillit avec plus
de dignité que de courtoisie. Mais Coco ne recouvra pas la parole
pour cela. On lui joua du piano dans l'espoir
que le désir de faire taire les sons désagréables de cet instrument
lui ferait élever la voix. Les plus agaçantes mélodies de
Rosellen
lui-même
n'eurent
pas raison de l'obstination de l'oiseau. On lui donna
successivement un lavement trop chaud et un
lavement trop froid (à lui qui était fort difficile en cette
matière) sans en obtenir la moindre protestation. Madame Filosa
passait des journées entières à lui parler nègre aux oreilles,
dans l'espérance qu'il répéterait un mot, un seul! Rien! pas le
moindre écho à ce bavardage, pas la moindre rime à cette poésie
hottentote. On fit venir plusieurs vétérinaires
qui visitèrent la langue de la bête et
la déclarèrent en parfait état. Pendant ce temps, le pauvre
Monsieur Filosa se mourait d'une colique à laquelle on ne portait pas
la moindre attention. Il eût fait bon qu'on s'occupât de lui pendant
que Coco demeurait implacablement silencieux!
Vous
ai-je dit que madame Filosa était dévote?
Je ne lui en fais pas un reproche, au moins.
Les femmes dévotes ont du bon qu'on reconnaît en étudiant, de plus
près, celles qui ne le sont pas. Le bon Dieu est encore l'amant dont
je serais le moins volontiers jaloux. Au moins, est-ce plus flatteur
d'être trompé pour lui que pour un simple godelureau. C'est ce qu'on
peut appeler un maitre sérieux.
Ah!
que j'en ai vu de ces jolies petites dévotes de province qui
emportaient du confessionnal un air contrit à faire pouffer de rire,
une bonne petite moue de repentir qui eût désarmé Satan lui-même,
sans parler de ce doux relent d'encens que les femmes qui fréquentent
les églises emportent dans leurs cheveux et qui en sanctifie
délicieusement les aromes profanes et charnels. Charmants à tracer–
et j'y reviendrai un jour - ces profils de paroissiennes dominicales
qui marchent vite dans les rues, avec un regard de côté et un livre
dans la main, ou qui reviennent en grignottant un petit morceau de
pain bénit. Tout le charme n'est pas aux courtisanes, comme on feint
de le croire aujourd'hui. Oui, Madame Filosa était dévote, et si
quelqu'un se fût permis de jurer devant elle, elle se fût signée
avec horreur et mépris.
–
Si vous faisiez prendre tout simplement à votre perroquet du
vin sucré! lui dit, au sortir des vêpres, le marguillier
Ventemollet qui avait beaucoup de sympathie pour elle. C'est le
remède indiqué par Molière
pour les oiseaux et pour les jeunes filles
muettes.
Un
verre de vin très sucré et un peu tiède fut préparé par madame
Filosa, qui y trempa de petits morceaux de pain
et commença à les glisser dans le bec noir
de Coco qui en faisait claquer les bouts, par impatience, comme des
castagnettes: au troisième morceau, l'oiseau dit:
–
Nom de Dieu! vous allez m'étrangler.
–
Merci Seigneur, s'écria madame Filosa, en tombant à genoux.
–
Mais il a juré! hasarda son mari.
–
Est-ce qu'il sait, lui! fit-elle avec toutes les miséricordes du
monde dans le sourire et dans le regard.
III
Monsieur
Filosa venait d'être nommé de seconde classe sur place. Car c'était
un fidèle employé et très dévoue a son état. C'est un homme qui
vous aurait conservé des hypothèques dans de l'esprit de vin plutôt
que de les laisser se gâter. J'approuverai toujours le gouvernement
quand il donnera à de tels hommes un avancement mérite. Il parut
convenable à madame Filosa de donner un dîner
à cette occasion, un de ces bons petits dîners départementaux
où le poisson et les croquembouches arrivent tout
montés de la cuisine du principal hôtel de l'endroit. C'est un genre
d'agapes dont je me défie. On ne mange bien en province qu'à la
condition de manger simplement. A moins cependant que Paul Graff ,
le Mécène culinaire des artistes normands, ne daigne lui-même faire
sauter un poulet ou assaisonper une sole. Autrement, ça n'en vaut pas
la peine. Vive la pomme de terre et les bons ragoûts que la
ménagère a laissée mijoter en consciénce, elle qui fait si bien la
nique à l'odieuse sauce brune des restaurants parisiens! Mais je
reviens au dîner offert par les époux Filosa. Je dis: dîner, parce
que c'est ainsi qu'on nomme, dans les deux tiers de la France, le
repas copieux qui se fait vers midi, et qui souvent ne dure pas moins
de la demi-journée. Toutes les personnes notables de l'endroit y
étaient invitées, dont les auteurs de mes jours qui en faisaient
partie et de qui je tiens ce trait suprême des amabilités de Coco.
Je ne vous parlerai pas du menu, ni même des invités. Que vous
importe qu'il y eût la le président Battopieu, le commandant
Mouilledru, le percepteur Vessedroit, l'avoue Pissoli, le notaire
Rothensol, le rentier Foirasse, l'architecte Pétalas, le docteur
Poussemol, l'apothicaire Oculi, et cette fleur de la noblesse du lieu,
haute dame Fourton, née Danmon, douairière! une société choisie,
quoi!
On
était en été et, dans les carafes aux larges bords, la tisane
frappée fut servie, en même temps que la langouste, dite en
belle-vue, c'est-à-dire, détaillée en menues tranches aux bords
rosés servant d'assises à une architecture de gobichonnades variées,
descendait solennellement sur le milieu de la nappe. On sentait parmi
les convives, outre une délicieuse odeur de femmes décolletées dont
la tiédeur de l'atmosphère aiguisait les parfums naturels, un
redoublement de belle humeur et d'appétit.
–
Coco! Coco! où est Coco? fit tout à coup madame Filosa, en regardant
autour d'elle avec des minauderies inquiètes.
L'affreux
oiseau accourut, en battant lourdement de l'aile. Après avoir été
frôler ses pattes rugueuses à la main charmante et douce de madame
Filosa, il sauta sur le bord d'une des carafes de champagne et s'y
tint en équilibre.
–
Est-il charmant ainsi s'écria sa maîtresse enthousiasmée.
Le
perroquet se retourna, sans quitter son perchoir de verre, et v'lan!
il laissa choir une belle crotte blanche dans la
tisane.
Cette
familiarité causa un froid. Madame Filosa ne broncha pas.
Se
penchant vers l'oreille de l'apothicaire Oculi qui était son voisin,
le pauvre M. Filosa se contenta de dire:
Ah!
Sapristi! si c'était moi qui eût fait ça!
|
- Coquelin
cadet... Bedoeld wordt een van de humoristen en performers uit de
kring van de 'Hydropathes'. Coquelin stond bekend om zijn
acrobatische stemtechniek.
Bron:
www.gallica
Coquelin figureert ook
in Silvestre # 4
le joyeux auteur du Rire = Coquelin cadet.
Saint-Lunaire -
Waarschijnlijk een apocriefe heilige die niettemin in noordwest
Frankrijk zeer populair was als geneesheilige van oogziekten (Coco
verliest het licht in een van zijn ogen). De plaatsnaam die Silvestre
noemt is HPM niet bekend. Jacques E. Merceron noemt wel twee
geneeskrachtige Lunaire- bronnen in Dictionnaire
des saints imaginaires et facétieux; 2002.
Rosellen - Silvestre
doelt op componist Henri Rosellen (1811-1876).
Filosa était dévote... -
Vergelijk
hiermee de gelovige Félicité uit Un Coeur Simple van Gustave
Flaubert
Molière - Le médecin
malgré lui (1667)
SGANARELLE.
-
Mon avis est qu'on la remette sur son lit: et qu'on lui fasse prendre
pour remède, quantité de pain trempé dans du vin.
GÉRONTE.
-
Pourquoi cela, Monsieur?
SGANARELLE.
-
Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu
sympathique, qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne
autre chose aux perroquets: et qu'ils apprennent à parler en mangeant
de cela?
GÉRONTE.
-
Cela est vrai, ah! le grand homme! Vite, quantité de pain et de vin.
morceaux de pain...
Dossier à la carte
Paul Graff - Deze
verwijzing is nog niet opgehelderd door HPM
une belle crotte... -
de plot van dit verhaal vertoont
een opmerkelijke overeenkomst met een gedicht van Grenet-Dancourt
(HPM)
|