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Bonne
action châtiée
I
Il était d’un beau
vert clair avec des
reflets bleus autour du bec et de petites plumes rouges qui lui
bordaient les ailes. Aussi
érudit qu’agréable à voir, il causait
de toutes choses comme un avocat ou un député,
sans y entendre d’ailleurs davantage. Comme les faiseurs
d’économie politique il répétait toujours les mêmes mots sans
les avoir jamais définis, et tout le monde l’admirait.
C’était, pour me résumer, un perroquet qui avait eu grand tort de
ne pas naître homme, car il eût été appelé aux plus hautes
destinées de notre espèce. Bon garçon d’oiseau avec cela, aimant
le vin à défaut des filles; car
la barbarie de mes pareils l’avait fait célibataire. Notre vieil
ami l’amiral Le Kelpudubec l’avait autrefois rapporté à une
certaine damoiselle de Vaudoré dont les aïeux avaient peut-être
été aux croisades, mais comme concierges, une belle créature, ma
foi, et qui était bien bonne de se flanquer de la noblesse avec une
chute de reins qui pouvait si bien s’en passer. Car où allons-nous
si les charmes personnels d’une femme ne suffisent plus à la
motiver dans la vie (ce verbe charmant est de Théophile Gautier)? Si
jamais on rétablit la royauté en ma faveur, ce que je souhaite à
mon pays, savez-vous comment je choisirai une souveraine à mon peuple?
Eh bien, je louerai au musée de Cluny le trône de Louis-le-Gros et j’y
ferai asseoir toutes les vilaines de mes États, jusqu’à ce que l’une
d’elles en fasse éclater les deux bras. A celle-là le titre
glorieux de Bellefessière Ire, Régente en cas de mon décès.
Revenons à la damoiselle de Vaudoré. Elle nomma son perroquet Gontran
et le bourra de sucreries
et de caresses jusqu’à ce qu’elle fût obligée de le laisser en
gage chez une dame Minaret à qui elle avait complètement omis de
payer son loyer. L’abus des nourritures succulentes avait donné au
malheureux oiseau un commencement
de diabète, plus une calvitie
de la moitié du corps, ce qui en faisait, au demeurant, une assez
vilaine bête. Sic transit gloria mundi.
II
La dame Minaret n’était pas une méchante personne.
Elle était même de la Société protectrice des animaux et ne
manquait jamais d’invectiver les cochers de fiacres qui battaient
leurs chevaux, – à moins qu’elle ne fût elle-même dans la
voiture, parce qu’elle aimait à être rondement menée. Elle n’étrangla
pas Gontran, comme l’eussent fait beaucoup de mauvais maîtres; mais
à cause de sa laideur elle le relégua dans l’endroit
le plus fâcheux de son appartement, j’entends dans celui où l’on
a coutume d’aller seul jouer le dernier acte de la digestion,
lequel est un monologue très antérieur à ceux de Coquelin cadet .
Mme Minaret tenant une table d’hôte, ledit lieu était extrêmement
fréquenté et là le malheureux oiseau dut, comme M. Purgon [moliere;
le malade imaginaire], perdre l’habitude de parler à des visages.
Il fit contre fortune bon cœur, bien que visiblement humilié par cet
exil. Recroquevillé dans ce qui lui restait de menu duvet, il médita
sur la grandeur et la décadence des destinées. De prolixe qu’il
était comme un politicien, il devint muet comme un radis. Mais qui l’eût
regardé de près et observé avec finesse n’eût pas été dupe de
son recueillement, lequel était celui des gens qui étudient. Parfois
son gosier semblait frémir sur des gammes inférieures qui ne
sortaient pas. Timeo virum unius libri , a dit Thomas d’Aquin dans un latin de restaurateur. Moi
je crains l’homme qui n’a pas de livre du tout et qui pense. La
force, en ce bas monde, est aux silencieux. Seuls, en effet, ils ne
révèlent pas à leurs contemporains l’abîme de sottise qui est au
fond de toute âme humaine. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi des
perroquets? Donc
Gontran ne disait rien, mais il n’en était que plus redoutable à l’avenir.
III
Si vous aviez vu ce jour-là Eva, vous en seriez
devenus amoureux fous. Qui, Eva? Mais Mlle Eva des Palombes, la future
du gracieux Maurice des Ormeaux, capitaine au 3e hussards, un homme
exquis et des plus nobles façons. Elle était à son bras pour la
première fois, et tous deux, avec l’autorisation des parents,
abandonnés l’un à l’autre pour quelques heures, cherchaient un
nid à leurs légitimes amours, j’entends un appartement pour s’y
installer tout de suite après la noce. C’est joli tout de même à
regarder une vierge pour de bon, dans l’éclat de sa chasteté
pleine de désirs, toute rayonnante de l’inconnu qui la tente et
comme attirée vers les fleurs d’un abîme. Telle elle marchait dans
la clarté de sa joie et la lumière de son amour, penchée
pudiquement sur le cavalier qui avait pris la forme de son rêve; et
lui, son air était triomphant et d’une insolence douce. Un
écriteau les fit entrer chez Mme Minaret. Ils y trouvèrent
précisément ce qu’ils cherchaient, un logement au troisième, en
plein soleil, avec un balcon pour mettre des fleurs, celui-là même
dont la damoiselle de Vaudoré avait précieusement omis de payer les
termes. Comme on achevait de conclure la location, le hasard fit qu’on
sortit l’infortuné Gontran de sa détestable retraite pour nettoyer
sa cage. A peine la sensible Eva l’eut-elle vu qu’elle se prit
pour l’oiseau délaissé d’une tendresse et d’une pitié sans
pareilles.
– Oh! la pauvre bête! fit-elle. Comme elle est
déplumée! Ne
pourrait-on lui mettre de la ouate sur les ailes?
– Voilà un gaillard dont je voudrais bien me
débarrasser, répondit philosophiquement Mme Minaret.
– Oh! mon Maurice! achetons-le! reprit la charmante
créature. Nous ferons une bonne action! cet animal a l’air si
malheureux ici! Nous le soignerons, nous le traiterons par l’hydrothérapie
qui a si bien rétabli votre oncle.
Et comme Maurice ne semblait pas autrement
enthousiaste de cette acquisition, elle se pencha à son oreille, de
si près que son souffle était une caresse:
– Ce sera pour attendre notre premier enfant!
murmura-t-elle tout bas.
Maurice ne résista pas davantage et il fut convenu
que l’on retrouverait Gontran installé dans une cage neuve le soir
où l’on viendrait reposer, pour la première fois, sous ce toit
élevé à la dignité de conjugal.
C’est ainsi qu’il était écrit que Gontran ne
quitterait pas la maison.
IV
Si j’étais un de ces narrateurs impudiques qui ne
perdent pas l’occasion d’entr’ouvrir les rideaux du lit de leur
prochain et même d’en soulever la couverture, j’aurais belle à
vous conter comment la délicieuse Eva des Palombes perdit en une nuit
le fruit de dix-huit ans de vertu, et la glorieuse façon dont le
capitaine lui enseigna pour jamais le mépris de la sagesse. C’est
dans le programme, et il n’est pas de fille sensée qui, après
cette première leçon, n’ait envie de s’écrier: « Mon Dieu,
que j’ai été bête! » J’entends: de fille ayant pris au
sérieux ses fonctions antérieures de demoiselle. Car j’en sais qui
n’iraient pour rien au monde à cette première, sans avoir
répété généralement et même plusieurs fois, et même répété
de nombreux raccords. Mais je vous ai dit qu’Eva était une vierge
pour de bon, et quelle vierge! Blanche comme un lis, blonde comme un
rayon de soleil, avec des chairs fouettées de rose tendre comme
certaines variétés de tulipes. Ah! capitaine! cherchez un autre pour
vous plaindre. L’aurore
vint trop tôt dénouer de ses doigts de roses
la couronne de leurs
voluptés (Attrape, Parny!) Eva
sortit du lit la première et, toute honteuse dans sa grande chemise
déchirée, se réfugia dans le cabinet de toilette qui n’était
séparé de sa chambre que par une portière. Maurice à son tour se
leva et ouvrit tout grands les rideaux à une vraie fusée de soleil.
Soudain noyé de cette lumière joyeuse et
reconnaissant l’appartement où il avait été jadis si heureux,
Gontran, dont on avait apporté la cage dans la chambre, suivant les
conventions que j’ai dites, eut un éblouissement. Sa
langue si longtemps muette se délia soudain et il se mit à clamer
son bonheur avec un vacarme épouvantable.
Ce fut alors qu’on put voir qu’il n’avait pas perdu son temps
dans le silence du cabinet (l’expression est consacrée et ne fut
jamais plus juste). Car, avec une fidélité admirable, mais en
enflant considérablement leur intensité, il
se mit à reproduire tumultueusement tous les bruits qu’il avait
entendus dans le buen retiro de
Mme Minaret. Ce fut un déchaînement d’ouragan,
une colère d’Eole sans quos ego pour la calmer, une musique
endiablée de vents saluant la liberté, une tempête non pas dans un
crâne mais ailleurs. On dut l’entendre jusqu’à Soissons
dont les
habitants frémirent d’aise, étant grands connaisseurs en ce genre
d’orchestration.
Cependant la pauvre Eva, derrière sa portière,
entendait ce charivari et, croyant son mari seul dans la chambre,
conçut une indignation si grande contre ce procédé indélicat qu’elle
s’enfuit par une porte dérobée, s’habilla à la hâte chez Mme
Minaret et courut se jeter, en pleurant, dans les bras de sa mère,
lui jurant qu’elle ne resterait pas une heure de plus avec un homme
si mal élevé.
Tout s’expliqua, par la suite. L’infâme Gontran
fut vendu à un marchand d’oiseaux et fait, à la devanture de sa
boutique, la joie des petits polissons.
Eva et Maurice n’ont plus d’ailleurs besoin de lui. Depuis trois
jours, ils ont un fils qui s’appelle Pancrace, comme l’oncle
hydrothérapéteux!
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Gontran
- Vermoedelijk vernoemde Silvestre de papegaai naar de (apocriefe)
heilige koning Saint Gontran (feestdag 28 maart). Gontran was een van
de 'saints chasseurs', heiligen die werden aangeroepen om ratten en
andere schadelijke knaagdieren te verjagen. (Jacques E. Merceron - Dictionnaire
des saints imaginaires et facétieux; 2002.) In
La légende dorée van Jacques de Voragine wordt Gontran kort
genoemd in verband met het overbrengen van relieken van de heilige
Mauritius van Auganum [Saint-Maurice] en zijn legionairs; Maurice
stierf als martelaar in 287
als aanvoerder van het zogeheten Thebaans Legioen. Het wonder dat door
de Voragine is opgetekend, en in het bijzonder het noodweer dat zich
voordoet, vertoont een komische overeenkomst met het slot van
Silvestres verhaal. Merk bovendien op dat de bruidegom in dit verhaal
Maurice heet. De
volledige tekst van de Voragine: 'Le
roi Gontran qui, ayant renoncé aux pompes du monde, distribuait ses
trésors aux pauvres et aux églises, envoya un prêtre à
Saint-Maurice pour demander quelques reliques des saints légionnaires.
Mais comme le prêtre revenait avec les reliques, une grande tempête
s'éleva sur le lac de Lausanne, où le bateau qui le portait faillit
périr ; mais il plaça sur les flots la châsse qui contenait les
reliques, et aussitôt un grand calme succéda à la tempête.' (La
légende dorée - editie Teodor de Wyzewa; 1923)
Sic
transit... - Hoe snel vergaat 's werelds roem!
Dit
gevleugelde woord wordt toegeschreven aan Thomas a Kempis, in wiens Navolging
van Christus het in iets gewijzigde vorm te vinden is in 1.3.6:
— O quam cito transit gloria mundi. (S.W.F.
Margadant – Twintigduidend citaten; 1935)
Een
ander gebruik van de uitdrukking lijkt echter beter van toepassing op
Silvestres verhaal, namelijk het rituele gebruik van de spreuk bij de
kroning van een nieuwgekozen paus:
'Wanneer
deze [de nieuwe paus] namelijk verkozen is en op een draagstoel uit de
Sint Gregorius-kapel naar de Sint Pieterskerk wordt geleid, verbrandt
men driemaal een vlok werk [= vlas; HPM], en roept hem daarbij telkens
toe : Sancte Pater, sic transit gloria mundi.' (J.H. de Ruyter – Gevleugelde
woorden; 1908)
Hier
ligt echter de nadruk op de overgang van het wereldse naar het heilige
en niet op de vergankelijkheid van de wereld. Het lijkt aannemelijk
dat Silvestre de rituele overgang van de paus van het ene naar het
andere vertrek op het oog had; maar niet dezelfde vertrekken...
Coquelin
cadet... Bedoeld wordt een van de humoristen en performers uit de
kring van de 'Hydropathes'. Coquelin stond bekend om zijn
acrobatische stemtechniek.
Bron:
www.gallica.nl
Timeo...
-
Uit:
Gabi Vanden Berghe – Veni vidi vici (1991)
'Een
dubbelzinnige klok luidt Timeo lectorem (of: virum) unius libri (Ik
vrees de lezer van één boek), soms ook in de vorm Cave hominem unius
libri (Let op voor de man...). Dit gevleugelde woord wordt zowel aan
Augustinus als aan Thomas van Aquino (1225-1274) toegeschreven. Iemand
die maar één enkel boek heeft gelezen, bijvoorbeeld de bijbel, heeft
er dan ook het meest nut uit gehaald; uiteraard moet je goed oppassen
wanneer je met zo iemand over de inhoud ervan wil discussiëren.
Anderzijds loopt 'de mens van (maar) één boek' het gevaar dat de
schutbladen ervan oogkleppen worden zodat hij een homo nulli rei (Aulus
Gellius, Noctes Atticae 15,9,11 — een vent van niks) wordt of
een homo nullius coloris (Plautus, Pseudolus 1196 — een kleurloos
manneke, een niemand).
Ses
doigts de roses... - Silvestre
gebruikt het homerisch epitheton 'rozenvingerig' of 'rosy fingered',
inderdaad meestal van toepassing op de dageraad. Soissons
(...) orchestration - De inwoners van Soissons hebben in de
scatologische volkscultuur de reputatie van winderigheid. Die danken
zij aan de bonen die in hun regio geteeld worden. De
Dictionnaire illustré du pet van Christian Deflandre (2008)
citeert in het lemma 'Soissons' uitgebreid uit Silvestres verhaal 'Le
P fatal' (in de bundel: Histoires réjouissantes), en
illustreert het lemma met deze prentbriefkaart uit 1912 waarop 'La
marche des haricots' gespeeld wordt:
Silvestre
en scatologie
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