UNE PREMIÈRE
REPRÉSENTATION.
VERT-VERT,
OPÉRA-COMIQUE.
C'est le n°
17. Mesdames Irma et Juliette occupent
triomphalement le devant de la loge ;
toilette de ville demi-soirée à grand orchestre.
MM. Oscar de Gardefeu;
Maxime de Herr et Tony Boulot, de la coulisse,
sont placés en espalier derrière ces dames
:
gilets en cœur à
trois boutons, décolletés jusqu'à la
ceinture, lilas blanc à la boutonnière,
Irma. —
Je ne cacherai pas à M. Toto
que cette loge est un bouge, une soupente.
D'abord, moi je ne comprends que les avant-scènes ;
c'est là seulement qu'on doit conduire des
femmes comme il faut.
Oscar. —
J'ai proposé de
couvrir d’or l'homme de
l'agence
:
pas d'avant-scène,
toutes en main. Ils m'ont fait payer ça cent cinquante francs.
Juliette.
— Pauvre petit chat !
c'est
moi qui vais le plaindre !
Irma. —
Allons bon !
voilà qui me
console un peu ! Marguerite aux secondes
avec son baron !
Tony Boulot.
— Son baron !
fini, usé, il montre la corde, il va falloir qu'elle s'en fasse
mettre un autre.
Maxime.
—Attention! mesdames,
voici l'ouverture, on la dit charmante.
Irma. —
L'ouverture, merci! c'est
comme les préfaces. Qui est-ce qui lit des préfaces? On
l'entend, on ne l'écoute pas. Passe-moi le Figaro.
Juliette.
— Vert-Vert,
un drôle de nom. Qu'est-ce que ce peut bien
être?
Irma. —
J'ai toujours entendu dire que Vert-Vert
c'était un journal.
Oscar.
— Quant à la couleur, elle est suffisamment
indiquée.
Juliette.
— Faire une pièce là-dessus,
ça ne doit pas être commode.
Maxime.
— Les auteurs sont des malins qui connaissent
leur métier.
Juliette.
— Ça les regarde. Quant à moi, je ne
retourne plus à la Maison-d'Or; ça devient par trop gargotte.
Des écrevisses bordelaises rédigées comme çà, c'est écœurant.
Maxime.
— On croirait lire l’Etendard.
Irma. —
Il n'en faut plus. [On continue de jouer
l’ouverture, les voisins demandent silence.)
Maxime.
— C'est bon, on y va. Très-joli ce passage, un
peu froid cependant.
Oscar.
— Ça me rappelle le passage de la Bérésina.
Tony Boulot.
— Taisez-vous donc, bavards.
Juliette.
— Toto, passe-moi la lorgnette. Voici la
duchesse qui fait son entrée; elle a des cheveux neufs. Ah
! voilà
chose qui emplit sa stalle. Une chaîne de plus.
Oscar.
— Puisqu'il entre au Petit Moniteur, un
couloir pour l'Académie française.
Juliette.
— C'est égal, les écrevisses n'étaient
pas drôles. Quant au vougeot, de l'argenteuil première.
Tony Boulot.
— Avec quelques coupures intelligentes...
Ici applaudissements de
toute la salle.
L'ouverture terminée,
Juliette, Irma, tous ces messieurs applaudissent.
Irma. —
Il paraît que c'est charmant. C'est égal,
j'aurais mieux aimé une avant-scène.
Juliette.
— Justement voilà Sa Maigreur la grande
Olympe qui arrive dans l'avant-scène de gauche avec son Russe
d'avant-hier et le vieux Turc des Champs-Elysées. Quelle
poussière!
Irma. —
Ils se regardent comme deux chiens de
faïence. Juliette.
— Un os survient, voilà la guerre
allumée.
Tony Boulot.
— La question d'Orient reparaît
palpitante à l'horizon.
PREMIER ACTE.
Tony Boulot.
— Attention !
Mesdames., la toile est levée, voilà Capoul.
Ah ! r'lan ! rataplan !
je bats aux champs.
Irma. — Pauvre petit
Capoul ! Eh bien
! là,
vrai, je regrette ses moustaches.
Oscar.
— Le fait est qu'il est devenu affreux, la
bouche a triplé.
Maxime.
— Oui, la bouche est grande et vaste; elle
semble doublée de satin noir.
Juliette.
— Pure jalousie. Moi, je le trouve aussi
laid qu'Oscar.
Oscar. —
Merci.
Tony Boulot.
-- Capoul
est en baisse. Je vends vingt-cinq
Capoul à découvert fin du mois.
Oscar.
— C'est égal, j'ai eu tort de ne pas vendre plus
d'Italiens; trois francs de baisse en quatre
jours ,
c'est joli.
Tony Boulot.
— Je vous l'avais bien dit.
Maxime.
— Voilà un chœur de
femmes qui est réussi; c'est délicieux. Ces petites
pensionnaires ne sont pas de votre avis :
voyez comme elles lui passent la main dans les cheveux !
Juliette.
— Moi, j'ai un faible pour Sainte-Foy. Il
a surtout deux dents et demie sur le devant qui font ma joie.
Dis donc, petit, tu devrais l'inviter pour souper ce soir.
Seulement je demande un autre cabaret. Rien de la Maison-d'Or. A
bas les écrevisses !
Irma. —
Ecoulez ce petit air de Capoul, c'est gentil;
mais quand donc va entrer Dupuis? Moi, d'abord, quand on joue de
l'Offenbach, si je ne vois pas avancer Dupuis ou Léonce, ça me
gène.
Tony Boulot.
— Dupuis qui s'avance,
Puis qui s'avance.
Maxime.
— Voilà le départ, ça sent la
fin de l'acte. (Chantant.)
Allons, allons,
allons, Parlons, partons, partons.
Tony Boulot.
— (// chante.)
Pars pour la Crète !
Pars pour la Crète
!
On connaît ses auteurs.
Les voisins.
— Silence! (La toile baisse.
— Vifs applaudissements.)
PREMIER ENTR'ACTE
Au foyer
Le Baron.
— Qu'est-ce que vous en dites? Ça ne me
paraît pas mal. Je viens de voir Azevedo,
il est furieux, c'est bon signe.
Oscar.
— Le premier acte va bien. Qu'est-ce que vous
pensez de l'Italie et des tabacs?
Le Baron.
— L'Italie est chargée jusqu'à la
culasse. Moi je couperais quelque chose dans le premier acte ;
les moustaches de Capoul ne suffisent pas.
Oscar.
— Avez-vous vu la
grande Émilia dans la loge du duc! c'est à pouffer de rire. La
paire de chevaux gris de quatorze mille francs est dans son
écurie depuis hier au soir.
Le Baron.
— Avec qui êtes-vous donc?
Oscar.
— Deux aimables grues de la connaissance de Tony
Boulot. En l'honneur d'Offenbach, j'ai vendu douze mille dont
deux sous hier, la prime a été abandonnée. Trente louis à
dévider ce soir avec ces dames. On sait protéger les arts.
Le Critique
farouche. —Les arts, allons donc!
Offenbach est le Paul de Kock de la musique.
Le Baron.
— Eh bien,
après ? Paul de
Kock a fait rire Messieurs les pères, Offenbach fait danser le
cancan à Messieurs les fils. Le cancan est la musique de
l'avenir.
Maxime.
— A bas Wagner
!
Le Baron.
—Remarquons ensemble ceci, mes très-bons
: Paul de
Kock et Offenbach sont les êtres les plus parisiens du siècle;
ni l'un ni l'autre ne sont de Paris. O
décentralisation!
Oscar.
— La Belgique et l'Autriche, ça se complique. Je
vendrai trente mille contre prime de cinq sous, demain matin
avant la Bourse.
DEUXIÈME ACTE.
Irma. —
Le plus souvent qu'Oscar aurait été nous
chercher des fondants chez Boissier
!
Tony Boulot.
— Fondants
demandés, voilà; seulement je veux qu'on m'appelle son petit
chien vert.
Juliette.
— Qu'est-ce qu'on dit au foyer? que
dit la critique?
Tony Boulot.
—Les uns disent ceci, d'autres :
C'est pas ça; d'autres
: Voilà ce
que c'est.
Irma. —
L'opinion se forme.
Juliette.
— Avez-vous vu
la robe de Cora? une merveille !
Irma. —
Au moins, si la femme est fanée, la robe ne
l'est pas; il faut des compensations.
Oscar.
—Mesdames, le président vous rappelle à Tordre.
Ecoutez donc l'orateur. C'est l'honorable M. Capoul qui dit un
petit Alléluia très-senti. Je vous le recommande.
Juliette.
—C'est très-joli; mais je ne vois pas
jusqu'à présent qu'il soit question du
journal !
Oscar.
— Quel journal?
Tony Boulot.
— Vert-Vert,
parbleu !
Maxime.
— Le journal! il paraîtra seulement vers la
fin de la pièce ;
c'est une surprise.
Irma. —
Quelqu'un qui me plaît, c'est Potel.
Maxime.
—Potel !
je vois ton
affaire, encore de la gourmandise. Tu crois que c'est de la
maison Potel et Chabot.
Irma. —
Ça serait un charme de
plus. Mais Potel est toujours en militaire, et puis il parle
gascon comme un ange. Voyez-moi un peu comme il est supérieur à
son camarade qui a le nez en vrille.
Juliette.
— Voilà mademoiselle Cico en dragon.
Je vous demande un peu à quoi sert de mettre Cico en dragon
; et puis, franchement, quand on a des
jambes aussi insuffisantes...
Irma. —
On devrait bien rester tranquille.
Tony Boulot.
— Offenbach l'a exigé, dit-on, il trouve
que Cico remplit très-bien son rôle.
Juliette.
— Son rôle, je ne dis pas, mais son
pantalon.
Maxime.
— Mesdames, une fois encore, je vous rappelle à
l'ordre. Voilà les chansons à boire, le besoin commençait à se
faire sentir de prendre quelque chose !
Tony Boulot.
— Ecoulez-moi ça un peu. Du
recueillement, Mesdames...
Oscar. Au
bout des seconds actes d'Offenbach, il y
a toujours un finale, et on danse.
Allons donc, buvons donc,
Allons donc, dansons donc.
Les voilà les dragons, les
braillards, les pochards! Bravo,
Offenbach !
(La toile baisse!
Applaudissements universels.)
Maxime.
— Tu sais, Irma, il y a un gros chauve dans la
loge à côté, un homme sérieux, trompette
de député ou conseiller d'Etat. Je crois que lu as fait sa
conquête. La forte dame qui est sur le devant est furieuse
!
Et l'avare Achèron ne lâche
pas sa proie.
O Irma !
méfie-toi. Je vais
savoir quand paraîtra le journal.
DEUXIEME ACTE
Au foyer
Le Critique farouche.
—
Ils applaudissent
encore !
C'est
pitoyable !
Le mauvais
goût multiplié par lui-même et parla sottise du public idiot.
Le Baron.
— Offenbach refuse vingt mille francs de
sa partition !
Oscar.
— Le chef de la mission égyptienne vient de
lui apporter le grand
cordon de l'Ibis bleu.
v
Maxime.
— C'est égal, Offenbach se relient trop. Parce
qu'on est à l'Opéra-Comique, ce n'est pas une raison.
Quand Offenbach se retient, son profit
ressemble à celui de M. Clapisson.
Le Critique
farouche. — Voilà la scène prise; une
fois encore, pour une centaine de
représentations. Et les jeunes auteurs,
les disciples de l'art vrai, de la mélodie!...
Tony Boulot.
— On prétend que Wagner va passer le Rhin
demain malin avec une armée de trois cent mille cornets a
piston, vieux style, et ophicléides à aiguille.
Oscar.
— Il faut espérer que le gouvernement
ne consentira jamais à
sacrifier Offenbach.
TROISIÈME ACTE.
Irma. —
Je dois vous avouer franchement que j'attendais
des glaces.
Tony Boulot.
—Vous n'y pensez pas, Madame, c'est ce
poulet truffé qui vous attend patiemment au Café Anglais; des
glaces maintenant ne seraient pas hygiéniques.
Oscar. — La leçon de danse, voilà qui a
du chic. Je retrouve enfin mon Offenbach, celui de mes rêves. Et
allez donc, Mesdemoiselles, une, deux, le pied à la hauteur du
front ; bravo, bravo !
voilà
qui me plaît !
Maxime.
— Jusqu'à présent la partie littéraire n'est pas
corsée. Meilhac sans Halévy, c'est un bâton qui a perdu son
aveugle. Ça nuit ter.... terriblement à mon entrain.
Oscar.
— Monsieur
Maxime, si je n'étais pas avec des femmes comme il faut, après
un mot pareil...
Tony Boulot.
— Nous arrangerons l'affaire au souper.
Juliette.
— Scène d'amour entre le père Couder et
mademoiselle Revilly, c'est toujours cocasse, ces choses-là.
Mais c'est égal, je ne comprends pas grand'chose à la pièce.
Tony Boulot.
—Il n'y a pas de nécessité à ça. Les
opéras-comiques n'ont jamais été destinés à être compris. Tiens!
voilà Capoul qui est réellement mieux
qu'au premier acte.
Oscar.
— C'est sans doute que ses moustaches ont un peu
repoussé.
Tony Boulot.—
Observation pleine de justesse.
Irma. —Voici
le mariage de la fin, demandez nos
manteaux à l'ouvreuse.
Oscar.
— Tu sais, Irma, il ne faut pas t'inquiéter si
le journal n'est pas encore paru ce soir. On vient de me dire
qu'il ne paraîtrait qu'à la seconde.
(La toile baisse.
Applaudissements frénétiques.)
M. Palianti, en notaire,
vient respectueusement nommer MM. Meilhac et Nuitter, et le
maestro Offenbach. Les applaudissements redoublent
Juliette.
—Ils ont tous l'air
très-content. On applaudît vigoureusement, du reste. Je
ne m'y connais pas. Si vraiment la pièce est bonne, je verrai ça
demain dans mon journal.
Oscar.
— Allons, mesdames, au Café Anglais.
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