À Séverine.
Pauvre diable!
Je le vois
encore arrivant le matin, hâve, blême, enveloppé dans sa maigre et
luisante redingote de professeur infortuné.
Comme il
était très doux et très triste, ses élèves – dont moi – le
jugeaient extrêmement ridicule et ne manquaient pas une occasion de
le rendre malheureux, en bons petits bourgeois que nous étions
déjà, cruels et lâches.
Mâtin! qu’il
faisait froid cette année-là!
Et, malgré la
pluie, le vent, la neige, notre professeur arrivait simplement vêtu
de sa maigre et luisante redingote dont il relevait le col.
Pourtant, au
retour des vacances du jour de l’an, le pauvre diable entra le matin
à la classe enveloppé dans un pardessus...
Non, mes amis,
un pardessus!
La joie que
nous éprouvâmes à la vue de ce vêtement tint du délire
épileptiforme.
Et nous ne
savions pas ce que nous devions le plus admirer en ce chef-d’oeuvre,
ou sa forme, ou sa couleur.
Inénarrable,
sa forme! Gauchement taillé, godant par ci, tirant par là, remontant
dans le cou. Et les manches! Et les poches! Et les boutons!
Mais ce qui
nous mettait le plus en gaîté, c’était encore sa couleur.
des
plus comiques.
Le pauvre
Vert-Vert devint plus triste encore que de coutume, et il me sembla
bien que deux larmes lui perlèrent aux yeux.
Le fameux
pardessus nous amusa une grande semaine, et puis, un beau matin,
Vert-vert, sans doute dégoûté de sa pelure, nous arriva simplement
vêtu de sa maigre et luisante redingote.
Et pourtant,
nom d’un chien! il faisait une sacrée bourrasque, ce jour-là.
Le lendemain,
pas de Vert-Vert.
Le principal
nous annonça que notre professeur, ayant perdu sa mère, serait
remplacé par un pion pendant deux jours.
Vert-Vert nous
revint, au bout des deux jours, plus blême, plus hâve, plus triste
et plus doux qu’avant.
Devant la
désolation du pauvre diable, nous voulûmes bien désarmer. On lui
jeta un peu moins de papier mâché à la figure.
À quelque
temps de là, un jeudi, je fouillais à l’étalage d’une fripière,
à la recherche d’un livre cochon, quand j’aperçus dans le fond
de la boutique, devinez quoi?
Accroché avec
d’autres nippes, le pardessus de Vert-Vert éclatait de tout le
triomphe de sa verdure étincelante.
L’occasion
était trop belle, vraiment.
– Combien ce
pardessus?
– Douze
francs.
En marchandant
longuement, j’obtins une notable réduction et, pour six francs, le
chef-d’oeuvre devint ma propriété.
J’eus
beaucoup de peine à me procurer les six francs, je vendis quelques
livres, j’extorquai par intimidation une menue somme à ma soeur et
je crois bien que je pris le reste dans le comptoir paternel.
Le lendemain,
pour bien jouir de mon triomphe, drapé dans ma verte acquisition, j’arrivai
à la classe un peu en retard.
Nulle plume
humaine ne saurait dépeindre mon indescriptible triomphe.
Mes camarades
levèrent les yeux, m’aperçurent, et ce fut un éclat de rire
formidable et inextinguible.
Moi, de mon
air le plus naturel du monde, je gagnai ma place.
Vert-Vert,
effroyablement pâle, s’était levé.
– Monsieur,
s’écria-t-il, vous avez mon pardessus!
– Mais pas
du tout, m’sieu, c’est à moi. Je l’ai acheté hier chez la
mère Polydore.
–
Apportez-le moi, je vous le confisque.
– Non, m’sieu,
j’vous l’apporterai pas. Vous n’avez pas le droit de confisquer
les effets.
La discussion
s’aggrava. Vert-Vert me mit à la porte. Je me plaignis au principal
qui me donna raison.
Le soir même,
je rencontrai le pauvre diable dans la rue. Il m’appela et voici ce
qu’il me dit:
– J’ai eu
tort ce matin de crier. Ce pardessus est à vous puisque vous l’avez
payé. Mais si vous voulez être bien gentil, ne le mettez pas pour
venir au collège, ça me fait trop de peine... Vous savez que j’ai
perdu ma mère l’autre jour. Eh bien, c’est elle qui l’avait
fait. Elle avait trouvé un coupon d’occasion, elle l’avait
taillé et cousu elle-même. En me le donnant pour mes étrennes, la
brave femme me dit «Tiens, mon pauvre garçon, voilà un manteau, il
n’est pas très beau, mais il te tiendra chaud.» Deux ou trois
jours après, elle est tombée malade... Nous ne sommes pas riches;
nos petites ressources se sont vite épuisées, et, un beau jour, pour
acheter du bois, j’ai dû vendre le pardessus. Oh! je ne l’ai pas
vendu bien cher... Et puis, quelque temps après, ma mère est morte.
Alors, vous comprenez, quand vous vous moquez de mon pardessus vert,
il me semble que vous vous moquez de ma pauvre maman, et ça me fait
beaucoup de peine.
À ce moment,
il me regarda; je pleurais comme une grosse bête.
Je lui
demandai pardon et, le soir même, je tins à lui rendre sa relique
que je ne trouvais plus ridicule.
Et, depuis ce
temps-là, quand je vois des paletots gauchement taillés, avec des
drôles de manches, et des drôles de poches, je pense que c’est
peut-être une pauvre vieille maman qui a passé une nuit à le coudre
et qui le matin a dit: «Tiens, mon garçon, il n’est pas beau, mais
il te tiendra chaud.»
Et je ne ris
pas.