LE
PERROQUET DE MA TANTE
J'avais
une tante. Ma tante avait un perroquet.
Je
mets ces deux choses au passé; car, hélas ! ma pauvre tante, qui
faisait de si bonnes confitures, n'est plus, et son perroquet n'a pas
tardé à la suivre dans un monde meilleur.
Mais,
il y a deux ans, ma chère et excellente parente vivait epcore, ainsi
que son oiseau fidèle, — et ce fut alors que m'advint l'histoire
que je vais vous raconter. Auparavant toutefois une description est
nécessaire, car le perroquet de ma tante n'était point un volatile
ordinaire.
Elle
l'avait acheté dans une vente après décès. C'était une des
manies de la brave et digne créature que de courir les bric-à-brac
mortuaires. Elle s'était composé ainsi une sorte de musée
hétérogène et bizarre d'objets dont elle ignorait la provenance et
qui permettaient aux plus fantasques hypothèses de se donner
carrière. Le perroquet faisait partie de ce musée, et, comme vous
l'allez voir, n'en était pas la pièce la moins curieuse.
Physiquement,
il était à peu près impossible de lui assigner une couleur exacte.
A
demi déplumé sur une partie du dos, les ailes rongées par un
trop long frottement contre les barreaux de je ne sais combien de
cages successives, il ressemblait à ces invalides de la coquetterie
auxquels l'usage a décerné le nom imagé de rameneurs, et qui,
dans leurs soustractions capillaires, empruntent, suivant l'expression
de Karr, un cheveu qui vaut dix aux rares touffes de leur
arrière-crâne.
Avec
une douzaine et demie de plumes environ, — pas davantage à coup
sûr, peut-être moins,— le perroquet de ma tante trouvait
moyen de foisonner encore, ce qui indiquait chez lui de grandes
ressources d'expérience et une longue pratique de la vie. Mais, les
teintures et les eaux de Jouvence n'étant pas inventées dans le
monde des oiseaux, il n'avait pu conserver à ses débris de plumage
leurs nuances primitives. Avait-il été d'un vert tirant sur le gris,
d'un gris tirant sur le vert? Les experts les plus habiles y auraient
perdu leur science.
Il
était resté seulement une teinte terreuse, vague, affadie; une
teinte qui paraissait s'éteindre avec le temps. Un perroquet
crépusculaire!...
Crépuscule
du soir, bien entendu ! La pauvre bête, en effet, était bien loin de
son aurore. Si loin que son bec élimé, râpé, s'effrangeait sur les
bords, comme un pantalon trop longtemps porté s'effiloquc sur les
coutures d'en bas.
Avec
cela un regard rond, immobile et plein de profondeur, un regard qui
semblait vouloir descendre dans les gens pour les explorer, plein
d'une attention soutenue et d'une étrange assiduité pour tout ce qui
se disait autour de lui, attention qui se doublait d'une mémoire
prodigieuse.
Trop
prodigieuse, ma foi, car jamais on n'avait
rencontré a la surface du globe un perroquet aussi bavard que celui
de ma tante, mais bavard d'un bavardage inouï, ahurissant,
impossible à suivre.
C’était
un tohu-bohu de phrases décousues, de propos confus, heurtés,
entre-croisés, baroques, stupéfiants.
D'abord
ce débordement de coq-a-l'âne amusait, puis agaçait, puis
finalement poussait à des paroxysmes d'exaspération impossibles à
décrire.
Vingt
fois j'avais été tenté de saisir par le cou l'abominable animal et
de l'étrangler; vingt fois j'avais résisté à la tentative, par
égard pour ma tante, qui l'adorait ; — ce qui n'a rien de
surprenant, vu qu'elle était sourde, — comme la voix de M. Naudin,
de l'Académie impériale de musique.
Et
pour ne plus être induit en un trop vif désir d'occire le vieillard
d'oiseau, qui abusait de la permission de radoter, je m'étais bien
solennellement juré de ne plus rester seul avec lui, quand, un
certain soir...
L'homme
propose, elle hasard dispose. Ce soir-là, j'avais dîné chez ma
tante. Après le repas, nous étions passes dans un grand salon
antique, au solennel velours d'Utrecht. Elle s'était assise dans sa
bergère, — la dernière peut-être; j'avais pris place sur une
chaise. Le perroquet, sur son perchoir, se tenait fixe et immobile.
C'était l'été. Il était grand jour encore; de plus, il faisait
chaud. Si bien qu'après quelques minutes, ma tante se laissait aller
à un sommeil de digestion, m'abandonnant aux cruelles voluptés d'un
tète-a-téte.avec Jacquot.
Le
scélérat paraissait n'attendre que cette occasion funeste pour
défier ma patience. A peine ma tante eut-elle fermé les yeux, que,
préludant à l'exécution de son répertoire, il entama ses gammes
chromatiques de piaillements, de ricanements, de croassements. Après
quoi, entrant en plein dans le cœur de son sujet, il se mit à
défiler des kyrielles de formules, d'exclamations, de vociférations.
En
même temps, son œil inquisiteur semblait ajouter à la provocation
et scruter ma pensée pour y jouir de ma colère !
Par
tous les diables, c'en était trop. Pendant cinq minutes je luttai;
pendant cinq autres je faiblis; pendant les cinq dernières je lâchai
la bride à mon emportement. A la seizième minute, Jacquot, dans mon
esprit, était condamné a mort.
Restait
a exécuter la sentence. Sur la pointe du pied, — comme si ma tante
n'eût pas été sourde, — je me levai, je m'approchai en tapinois;
j'étendis les deux mains....
Le
perroquet me regardait toujours, mais d'une façon si pénétrante,
qu'il avait l'air de deviner ma résolution. N'importe! je rapprochai
les mains. J'allais serrer, quand une voix moqueuse me jeta soudain ce
cri ironique :
«
Merci bien ! »
Cette
voix, c'était celle de Jacquot, je n'en pouvais pas douter ; et
d'ailleurs, si j'eusse conservé quelque incertitude, elle n'aurait
pas été de longue durée, car, reprenant aussitôt :
«
Oui, merci, fit Jacquot, car tu vas me rendre là un signalé service,
en me débarrassant d'une existence qui me pèse singulièrement... »
Devant
cette fantastique manifestation, j'avais reculé effrayé, et j'étais
retombé sur ma chaise, confondu et stupéfait.
—
Eh bien! reprit le perroquet gouailleur, voilà que ton courage
faiblit et que tu refuses d'accomplir ton beau projet. Est-ce parce
que je t'ai appris que tu me serais agréable?...
Ah
! tu perds patience parce que tu es obligé de m'entendre pendant
quelques minutes! Que dirai-je donc moi, qui suis forcé de vous ouïr
tous depuis cent ans?... Oui, cent ans, — moins quelques mois à
peine.
A
cet âge, tu conviendras qu'on aurait le droit de radoter, quand bien
même on radoterait pour son propre compte... Ce qui n'est pas mon cas.
Tiens!
pendant que j'y suis, je veux bien t'édifier, quoique je n'aie pas
besoin de justification, le nombre des gens qui parlent pour ne rien
dire suffisent à m'excuser d'avance. Mais n'importe?... Je me sens en
verve d'expansion, et tu vas en profiter.
Tel
que tu me vois, je suis, je le confesse, un absurde et intolérable
bavard. Est-ce ma faute? Non, c'est celle des hommes tes chers
confrères. Les phrases que j'amalgame, sans aucune cohésion
apparente, ne sont que l'écho de ce que j'ai entendu chez mes
différents propriétaires. J'en ai changé environ cinquante fois...
Chacun d'eux avait sa marotte que je me suis appropriée. Juge quel
total cela fait dans ma mémoire.
Je
n’ai pas envie de te raconter ma vie en détail, mais quelques
rapides échantillons te renseigneront suffisamment.
De
mes différentes étapes politiques je ne te dirai pas grand' chose.
Dès
ma première jeunesse, j'appris à connaître les révolutions. En
douze ans, j'eus cinq maîtres. Le premier m'apprit a chanter : Vive
le Roi! le second le Ça ira! le troisième Veillons
au salut de l’empire.
Un
bon commencement, comme tu le vois. Le reste de ma carrière devait y
répondre.
Tu
m'as entendu crier souvent : « Ça peut se plaider! ça
peut se plaider! » C'est chez un avocat que j'ai enrichi mon
répertoire de cette formule. Affaires bonnes ou mauvaises, louches ou
borgnes, droites ou tortueuses, du moment où un client venait à lui,
c'était sa réponse sacramentelle..... J'ai trouvé le mot drôle, au
point de vue de Thémis, — et je l'ai retenu.
<<Laissez
agir la nature! » une autre de
mes exclamations favorites, me vient d'un médecin chez qui j'ai
résidé quelque temps. Il prenait cinq et dix francs pour répéter
cette phrase à ses malades. Quand il allait la dire à domicile,
c'était vingt francs; il paraît, du reste, qu'il la prononçait à
merveille, puisqu'un le nomma, rien que pour cela, membre de
l'Académie de médecine.
«
Repassez demain... Monsieur n'y est pas ! » m'a été
enseigné chez un marquis de noblesse douteuse, qui tranchait du grand
seigneur, au risque de se couper. Le domestique de ce gentilhomme
apocryphe n'avait que cette réponse aux lèvres : chaque fois
que sonnait un créancier.
En
quittant le marquis, j'ai été vendu à l'hôtel des ventes et acquis
par un commerçant. C'est de lui que je tiens l'exclamation : « Je
vous jure que c'est parce que c'est vous, car à ce prix-là j'y perds
! » A force de pèrdre, il s'est acheté un château où il
couronnait des rosières et prononçait devant ses collègues du
conseil municipal des discours sur la pureté et la loyauté des
transactions.
<<Vivre
sans toi, mon ami, oh! jamais! »
m'a été appris par une veuve qui disait la même chose à tous ses
maris... Elle en a enterré quatre...
«
Je lui fourrerai six pouces de fer dans a le ventre! » me
vient d'un fanfaron qui provoquait les faibles et rampait devant les
forts. « Faites tout saisir ! » d'un propriétaire,
arrière-neveu de M. Vautour. « Nous ne voulons pas de vos gens de
lettres ! » d'un académicien qui, je dois lui rendre cette
justice, n'avait, pour être conséquent avec son principe, jamais
écrit une ligne. << A-t-il voiture >> d'une jeune
fille idéale qui posait cet ultimatum toutes les fois qu'on lui
parlait d'un fiancé destiné a faire battre son cœur... Et ainsi de
tous mes refrains.
S'ils
sont odieux, à qui la faute? Au lieu de te courroucer, tu aurais
mieux fait d'en chercher le sens et de tirer profit des leçons qu'ils
peuvent contenir. Un perroquet tel que moi,
c'est tout simplement un cours de philosophie pratique...
Si
la philosophie t'ennuie, de même que ceux de ton époque, tue-moi...
Je t'ai déjà dit que j'avais assez des tiens et de toi.....
Comme
Jacquot achevait, ma tante se réveilla.
Avais-je
dormi aussi et été dupe d'un cauchemar? Je n'ai jamais pu m'en
assurer, l'oiseau étant trépassé à quelque temps de la.
Peut-être
un sage de moins!...
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