I
En une de ses villégiatures estivales, à Pontorson,
je crois, célèbre par ses roses, M. Ménichon avait acheté ce coucou,
une très authentique vieillerie, à la boîte naïvement sculptée de
fruits et d'oiseaux mythologiques, d'un brun presque noir, avec des
angles déchiquetés par endroits. Il était dans l'état le plus
complet, muni d'un cadran Louis XIII finement guilloché, d'un
balancier en cuivre très lourd faisant, à chaque oscillation, passer
un éclair dans la lucarne qui permettait de le mettre en mouvement
avec des tic tac dont la régularité enchantait particulièrement M.
Ménichon. Il l'avait payé, rubis sur l'ongle, sept francs à un
pauvre diable qui n'avait plus que ça et il éprouvait, en le
regardant, la fierté naturelle à tout amateur bourgeois qui a volé
un malheureux. Songez donc! On lui en avait offert à lui Ménichon,
qui n'en avait pas besoin, cinq cents francs de sa trouvaille, cinq
cents francs avec lesquels le gueux aurait vécu un an. C'est
décidément une belle chose que l'humanité!
M. Ménichon avait transporté le coucou dans sa jolie
villa de qu'il habitait toute l'année; il l'avait installé dans la
chambre conjugale, au meilleur coin, le soignait comme un enfant,
avait toujours l'oreille au guet qu'il ne s'arrêtât, ayant pris une
telle habitude de sa musique que, lorsque la nuit le coucou cessait
de marcher, il était immédiatement réveillé par un silence qui
l'emplissait d'une instinctive angoisse. Et, hop! il voussautait du
lit et allait se pendre aux poids en pommes de pin qui remettaient
en mouvement le précieux balancier. Cette horloge était devenue sa
vie dont elle cadençait d'ailleurs la régularité monotone avec un
sentiment du symbolisme parfait.
Cet homme était donc veuf? Non. Vous vous demandez
alors ce que faisait pendant ce temps-là madame Ménichon? Tout
simplement ce que font beaucoup de femmes mariées à des imbéciles
plus vieux qu'elles. Elle s'embêtait et songeait vaguement à le
tromper. Elle aussi avait d'ailleurs pris, par désœuvrement,
sa petite idole, le
perroquet Jonas qui lui tenait compagnie pendant que notre
Ménichon jouait la manille en son café ordinaire. Jonas était un
oiseau capricieux, mais de bon goût, qui adorait sa maîtresse et ne
pouvait sentir son maître. On devait l'enlever du salon dès que
celui-ci: y rentrait, parce qu'il ne manquait jamais de l'accueillir
par quelque aménité du genre de celle-ci:
« Crétin! Cochon!
Cornard! » que personne ne se rappelait lui avoir apprises,
mais qui lui étaient néanmoins familières.
Quand on achète un
perroquet, on devrait toujours s'assurer qu'il n'a jamais été que
dans des maisons bien famées. J'en ai connu un, chez un
préfet de province, qui ne laissait jamais sortir une visite de
cérémonie sans la saluer d'un:
« Mon petit ami,
fais-moi mon petit cadeau! » ou « N'oubliez pas la petite bonne. »
Je dois reconnaitre que ces deux phrases ne faisaient pas partie du
répertoire de Jonas. Mais il n'en était pas moins mal embecqué, si
j'ose m'exprimer ainsi.
Il excellait
d'ailleurs à reproduire, mieux encore que la parole, tous les bruits
qu'il entendait et ce n'était pas un animal à garder avec soi,
les jours de purgation. Il avait suffi que pendant une absence de M.
Ménichon, qui avait des intérêts à
Castelnaudary,
madame Ménichon fît rester l'oiseau dans la chambre conjugale, pour
que celui-ci eût
attrapé le tic tac du coucou à faire absolument illusion. Tic
tac! tic tac! faisait-il avec sa langue noire, et c'était à s'y
méprendre.
Il n'y avait que le clerc de notaire Poildobus qui
l'imitât aussi bien. Ce jeune homme jouait souvent à la manille, au
café, avec M. Ménichon, non pas que ce jeu l'amusât, mais dans
l'intention perverse d'entrer dans l'intimité de son partenaire et
de se faire inviter dans la maison. Il était, en effet, tout à fait
épris des charmes dodus de madame Ménichon dont le cadran naturel ne
datait pas de Louis XIII, était moins bruyant que celui de l'horloge
et sans
aiguilles dorées, mais néanmoins tout a fait digne
d'un amateur, une pièce rare, large et polie. Vous me direz que la
robe de madame Ménichon n'étant pas, comme la maison du sage, de
verre, le jeune Poildobus ne connaissait ce précieux objet que par
intuition. Mais celle-ci avait suffi a son génie naissant. Elle
avait aussi des reliefs, comme la boîte du coucou, madame Ménichon,
et tout fait intéressants pour un godelureau, de ceux qu'attirent
les bric-a-brac charmants de l'amour. C'était un garçon ayant
d'ailleurs des dons de société, disant agréablement le monologue,
imitant le bruit du casse-noisette avec ses bajoues et de la scie
avec son nez qu'il avait long et prodigieusement sonore. Ménichon
tomba dans le piège tendu à son honneur et laissa pénétrer le loup
dans la bergerie dont madame Ménichon était l'unique brebis. Il lui
montra le coucou et, pour cela, l'amena dans la chambre conjugale.
Un instant après, Poildobus imitait à son tour, par un claquement
imperceptible de la langue, le tic tac de l'instrument mieux que
Jonas en personne et à ce point que la boite du coucou elle-même,
laquelle était cependant en bois bien vermoulu, s'y serait trompée.
Ce trait d'esprit, servi par de rares dispositions plastiques,
enchanta posi- tivement Ménichon qui prit l'infâme Poildobus en une
véhémente amitié. Madame Ménichon partagea ce sentiment en y
ajoutant une petite pointe de sensualisme inassouvi. Bientôt son
cadran naturel n'eut plus de secrets pour l'heureux Poildobus. Et
Jonas qui avait l'instinct des situations, comme beaucoup de
perroquets, ne pouvait plus voir venir, de si loin que ce fut, son
maître sans crier de plus belle: Cornard! cornard! cornard! Mais on
l'emportait vite à la cuisine et on le cachait sous un torchon pour
reprimer son éloquence. C'est un procédé peu coûteux qu'on devrait
bien employer quelquefois au Parlement où le président aura une
sonnette d'une main et un torchon de l'autre. Il les pourrait tenir
malicieusement derrière son dos et avoir écrit au-dessus de sa tête:
Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.
Ce serait tout a fait décoratif.
II
M. Ménichon était a Castelnaudary, pour ses
sempiternelles affaires, depuis huit jours, et rien n'annonçait son
retour prochain. Madame Ménichon et Poildobus abusaient lâchement de
son absence. Le cadran naturel de madame Ménichon ne chômait plus un
instant. Pour réunir tout ce qu'elle aimait au monde, elle avait
installé Jonas dans sa chambre où cet impudent Poildobus venait
cyniquement coucher, aussitôt que les domestiques avaient regagné
les combles où les maîtres ne manquent jamais de les loger, en été,
par une délicate attention. Et ce que le temps passait vite entre la
grosse dame et son gigolo! Jonas, lui, qui était la pudeur même,
mettait sa tête sous son aile renflée comme une voile de navire. Il
eût été exagéré de dire que c'était le plus heureux des trois. Ce
n'était pas non plus M. Ménichon qui se guimbardait en chemin de fer
pendant ce temps-là, cependant que son lit moelleux servait de
théâtre aux délices interdites, mais sérieuses, de l'adultère.
– Ah! mon Dieu! fit, cette nuit-là, et tout à coup,
madame Ménichon, coupant net en deux un baiser que Poildobus était
en train de lui prendre. Elle avait entendu distinctement crier la
porte du jardin, dont Ménichon seul avait la seconde clef. Il
rentrait sans s'être annoncé, l'indiscret? C'était sûr! A Poildobus
interdit, elle murmura dans l'oreille:
– Cache-toi! cache-toi, bien vite!
– Où ça?
– Je ne sais pas!... Dans le coucou.
Comme il était svelte à l'instar d'un lévrier,
Poildobus se glissa dans l'horloge, par la lucarne. Il est des
heures mystérieuses par nature. Les deux aiguilles atteignaient
minuit, juste, quand M. Ménichon fit son entrée dans la chambre où
sa femme faisait semblant de dormir, afin que, par discrétion et de
peur de l'éveiller, il n'allumât pas de lumière. Poildobus eut alors
une angoisse terrible. Il avait, en entrant dans l'instrument comme
un voleur, arrêté le mouvement du balancier et le premier soin de
Ménichon serait de s'en apercevoir au silence absolu de la pièce et
de venir remonter le coucou. Mais Poildobus savait utiliser à
l'occasion ses talents de société. Avec sa langue, il se mit à
remplacer le tic tac absent, comme il avait si bien appris à le
faire. Tic tac! tic tac! tic tac! « Comme il marche bien » pensa
Ménichon en se couchant, toujours dans l'obscurité. Et cette pensée
suffit à le rendre heureux. « Sept francs! – je l'ai payé sept
francs! » murmurait-il dans son premier sommeil.
Mais Poildobus savait qu'au moment précis où il
cesserait son tic tac, Ménichon se réveillerait. Il dut donc
continuer, bien que la langue commençât à lui faire mal de ce
continuel mouvement. Tic tac! tic tac! Et madame Ménichon qui ne
dormait pas, entendait, anxieuse, les tic tac de Poildobus se
ralentir et devenir pâteux. Elle eut pitié de lui, et comme le petit
jour pénétrait déjà entre les rideaux, les nuits étant courtes dans
cette saison, elle réveilla elle-même son mari: « Cher amour, lui
dit-elle, voici le matin et il faut vous lever bien vite. Votre ami
Pigevent a prié qu'on vous envoyât aussitôt votre retour pour une
chose qui ne comporte aucun retard. » C'était un mensonge éhonté,
mais il fallait bien éloigner Ménichon à tout prix.
Le tic tac de Poildobus agonisait. Ménichon fit
partir une allumette, et regardant, sans quitter son lit, au cadran
du coucou dont les aiguilles n'avaient pas bougé depuis
l'introduction du galant « Vous êtes folle, ma mie, dit-il. Il est
minuit! » Et il se retourna pour reprendre son sommeil! Ah! le
malheureux Poildobus n'en pouvait plus! Sa langue, positivement
pelée, refusait tout service. Il faisait des tic tacs haletant sans
sonorités, déplorables, comme ceux d'un coucou poitrinaire.
Il recommandait son âme à Dieu, continuant de son
mieux pour sauver sa complice, mais sentant bien qu'il allait rendre
le dernier soupir dans un de ces tic tac-là. Les affres de l'agonie
lui montaient au front déjà, en amères rosées, et ses jambes
flageolaient comme celles d'un canard saoulé de vendange fraîche. Et
le jour achevait de se lever et cette canaille de Ménichon n'en
dormait que de plus belle. Avec délices, il contrepointait, de ses
ronflements, la musique désespérée de Poildobus.
Tout à coup Jonas, réveillé, lui, par le jour, tira
sa tête de dessous son aile, secoua son plumage et, pour saluer
l'aurore d'un effort de mémoire, commença à faire aussi « tic! tac!
tic! tac! »
« Ah! mon Dieu, pensa madame Ménichon, deux coucous
à la fois vont le faire bondir du lit! » Mais Poildobus, secouru à
temps, s'était tu. Après avoir remercié la Providence qui lui
donnait un remplaçant dans ce moment critique, il reprit le chemin
de la lucarne, ouvrit la porte sans bruit et disparut, cependant que
Ménichon dormait toujours et que le perroquet continuait « tic! tac!
»
Madame Ménichon, qui avait tout vu et qui était
pieuse, remercia Dieu aussi de ce salut inespéré. Puis, regardant
par hasard le cadran dans la chambre devenue claire, elle poussa
rudement son mari par l'épaule en lui criant: « Eh! paresseux!
lève-toi donc! Il est midi! » Et elle lui montrait les aiguilles
toujours immobiles sur le nombre XII écrit en chiffres romains.
Ménichon, convaincu et honteux, sauta sur sa culotte
et disparut à son tour, craignant que son ami Pigevent ne l'attendit
plus.
Alors la grosse dame se leva et alla tranquillement
remonter le salutaire coucou. Puis elle fit emporter Jonas et se
remit au lit pour y penser à Poildobus, cependant que Ménichon
allait se casser le nez chez Pigevent. C'est ainsi que tout réussit
aux honnêtes gens.