Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 15

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  Waarin onze auteur zich opnieuw begeeft op het gebied van de verraderlijke driehoek tussen echtgenoten en papegaai, daarbij zowel geholpen als gehinderd door een staande klok.  

1895

Nouvelles gaudrioles

Le coucou

A Paul Kréder

 

I

En une de ses villégiatures estivales, à Pontorson, je crois, célèbre par ses roses, M. Ménichon avait acheté ce coucou, une très authentique vieillerie, à la boîte naïvement sculptée de fruits et d'oiseaux mythologiques, d'un brun presque noir, avec des angles déchiquetés par endroits. Il était dans l'état le plus complet, muni d'un cadran Louis XIII finement guilloché, d'un balancier en cuivre très lourd faisant, à chaque oscillation, passer un éclair dans la lucarne qui permettait de le mettre en mouvement avec des tic tac dont la régularité enchantait particulièrement M. Ménichon. Il l'avait payé, rubis sur l'ongle, sept francs à un pauvre diable qui n'avait plus que ça et il éprouvait, en le regardant, la fierté naturelle à tout amateur bourgeois qui a volé un malheureux. Songez donc! On lui en avait offert à lui Ménichon, qui n'en avait pas besoin, cinq cents francs de sa trouvaille, cinq cents francs avec lesquels le gueux aurait vécu un an. C'est décidément une belle chose que l'humanité!

M. Ménichon avait transporté le coucou dans sa jolie villa de qu'il habitait toute l'année; il l'avait installé dans la chambre conjugale, au meilleur coin, le soignait comme un enfant, avait toujours l'oreille au guet qu'il ne s'arrêtât, ayant pris une telle habitude de sa musique que, lorsque la nuit le coucou cessait de marcher, il était immédiatement réveillé par un silence qui l'emplissait d'une instinctive angoisse. Et, hop! il voussautait du lit et allait se pendre aux poids en pommes de pin qui remettaient en mouvement le précieux balancier. Cette horloge était devenue sa vie dont elle cadençait d'ailleurs la régularité monotone avec un sentiment du symbolisme parfait.

Cet homme était donc veuf? Non. Vous vous demandez alors ce que faisait pendant ce temps-là madame Ménichon? Tout simplement ce que font beaucoup de femmes mariées à des imbéciles plus vieux qu'elles. Elle s'embêtait et songeait vaguement à le tromper. Elle aussi avait d'ailleurs pris, par désœuvrement, sa petite idole, le perroquet Jonas qui lui tenait compagnie pendant que notre Ménichon jouait la manille en son café ordinaire. Jonas était un oiseau capricieux, mais de bon goût, qui adorait sa maîtresse et ne pouvait sentir son maître. On devait l'enlever du salon dès que celui-ci: y rentrait, parce qu'il ne manquait jamais de l'accueillir par quelque aménité du genre de celle-ci: « Crétin! Cochon! Cornard! » que personne ne se rappelait lui avoir apprises, mais qui lui étaient néanmoins familières. Quand on achète un perroquet, on devrait toujours s'assurer qu'il n'a jamais été que dans des maisons bien famées. J'en ai connu un, chez un préfet de province, qui ne laissait jamais sortir une visite de cérémonie sans la saluer d'un: « Mon petit ami, fais-moi mon petit cadeau! » ou « N'oubliez pas la petite bonne. » Je dois reconnaitre que ces deux phrases ne faisaient pas partie du répertoire de Jonas. Mais il n'en était pas moins mal embecqué, si j'ose m'exprimer ainsi. Il excellait d'ailleurs à reproduire, mieux encore que la parole, tous les bruits qu'il entendait et ce n'était pas un animal à garder avec soi, les jours de purgation. Il avait suffi que pendant une absence de M. Ménichon, qui avait des intérêts à Castelnaudary, madame Ménichon fît rester l'oiseau dans la chambre conjugale, pour que celui-ci eût attrapé le tic tac du coucou à faire absolument illusion. Tic tac! tic tac! faisait-il avec sa langue noire, et c'était à s'y méprendre.

Il n'y avait que le clerc de notaire Poildobus qui l'imitât aussi bien. Ce jeune homme jouait souvent à la manille, au café, avec M. Ménichon, non pas que ce jeu l'amusât, mais dans l'intention perverse d'entrer dans l'intimité de son partenaire et de se faire inviter dans la maison. Il était, en effet, tout à fait épris des charmes dodus de madame Ménichon dont le cadran naturel ne datait pas de Louis XIII, était moins bruyant que celui de l'horloge et sans

aiguilles dorées, mais néanmoins tout a fait digne d'un amateur, une pièce rare, large et polie. Vous me direz que la robe de madame Ménichon n'étant pas, comme la maison du sage, de verre, le jeune Poildobus ne connaissait ce précieux objet que par intuition. Mais celle-ci avait suffi a son génie naissant. Elle avait aussi des reliefs, comme la boîte du coucou, madame Ménichon, et tout fait intéressants pour un godelureau, de ceux qu'attirent les bric-a-brac charmants de l'amour. C'était un garçon ayant d'ailleurs des dons de société, disant agréablement le monologue, imitant le bruit du casse-noisette avec ses bajoues et de la scie avec son nez qu'il avait long et prodigieusement sonore. Ménichon tomba dans le piège tendu à son honneur et laissa pénétrer le loup dans la bergerie dont madame Ménichon était l'unique brebis. Il lui montra le coucou et, pour cela, l'amena dans la chambre conjugale. Un instant après, Poildobus imitait à son tour, par un claquement imperceptible de la langue, le tic tac de l'instrument mieux que Jonas en personne et à ce point que la boite du coucou elle-même, laquelle était cependant en bois bien vermoulu, s'y serait trompée. Ce trait d'esprit, servi par de rares dispositions plastiques, enchanta posi- tivement Ménichon qui prit l'infâme Poildobus en une véhémente amitié. Madame Ménichon partagea ce sentiment en y ajoutant une petite pointe de sensualisme inassouvi. Bientôt son cadran naturel n'eut plus de secrets pour l'heureux Poildobus. Et Jonas qui avait l'instinct des situations, comme beaucoup de perroquets, ne pouvait plus voir venir, de si loin que ce fut, son maître sans crier de plus belle: Cornard! cornard! cornard! Mais on l'emportait vite à la cuisine et on le cachait sous un torchon pour reprimer son éloquence. C'est un procédé peu coûteux qu'on devrait bien employer quelquefois au Parlement où le président aura une sonnette d'une main et un torchon de l'autre. Il les pourrait tenir malicieusement derrière son dos et avoir écrit au-dessus de sa tête:

Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.

Ce serait tout a fait décoratif.

II

M. Ménichon était a Castelnaudary, pour ses sempiternelles affaires, depuis huit jours, et rien n'annonçait son retour prochain. Madame Ménichon et Poildobus abusaient lâchement de son absence. Le cadran naturel de madame Ménichon ne chômait plus un instant. Pour réunir tout ce qu'elle aimait au monde, elle avait installé Jonas dans sa chambre où cet impudent Poildobus venait cyniquement coucher, aussitôt que les domestiques avaient regagné les combles où les maîtres ne manquent jamais de les loger, en été, par une délicate attention. Et ce que le temps passait vite entre la grosse dame et son gigolo! Jonas, lui, qui était la pudeur même, mettait sa tête sous son aile renflée comme une voile de navire. Il eût été exagéré de dire que c'était le plus heureux des trois. Ce n'était pas non plus M. Ménichon qui se guimbardait en chemin de fer pendant ce temps-là, cependant que son lit moelleux servait de théâtre aux délices interdites, mais sérieuses, de l'adultère.

– Ah! mon Dieu! fit, cette nuit-là, et tout à coup, madame Ménichon, coupant net en deux un baiser que Poildobus était en train de lui prendre. Elle avait entendu distinctement crier la porte du jardin, dont Ménichon seul avait la seconde clef. Il rentrait sans s'être annoncé, l'indiscret? C'était sûr! A Poildobus interdit, elle murmura dans l'oreille:

– Cache-toi! cache-toi, bien vite!

– Où ça?

– Je ne sais pas!... Dans le coucou.

Comme il était svelte à l'instar d'un lévrier, Poildobus se glissa dans l'horloge, par la lucarne. Il est des heures mystérieuses par nature. Les deux aiguilles atteignaient minuit, juste, quand M. Ménichon fit son entrée dans la chambre où sa femme faisait semblant de dormir, afin que, par discrétion et de peur de l'éveiller, il n'allumât pas de lumière. Poildobus eut alors une angoisse terrible. Il avait, en entrant dans l'instrument comme un voleur, arrêté le mouvement du balancier et le premier soin de Ménichon serait de s'en apercevoir au silence absolu de la pièce et de venir remonter le coucou. Mais Poildobus savait utiliser à l'occasion ses talents de société. Avec sa langue, il se mit à remplacer le tic tac absent, comme il avait si bien appris à le faire. Tic tac! tic tac! tic tac! « Comme il marche bien » pensa Ménichon en se couchant, toujours dans l'obscurité. Et cette pensée suffit à le rendre heureux. « Sept francs! – je l'ai payé sept francs! » murmurait-il dans son premier sommeil.

Mais Poildobus savait qu'au moment précis où il cesserait son tic tac, Ménichon se réveillerait. Il dut donc continuer, bien que la langue commençât à lui faire mal de ce continuel mouvement. Tic tac! tic tac! Et madame Ménichon qui ne dormait pas, entendait, anxieuse, les tic tac de Poildobus se ralentir et devenir pâteux. Elle eut pitié de lui, et comme le petit jour pénétrait déjà entre les rideaux, les nuits étant courtes dans cette saison, elle réveilla elle-même son mari: « Cher amour, lui dit-elle, voici le matin et il faut vous lever bien vite. Votre ami Pigevent a prié qu'on vous envoyât aussitôt votre retour pour une chose qui ne comporte aucun retard. » C'était un mensonge éhonté, mais il fallait bien éloigner Ménichon à tout prix.

Le tic tac de Poildobus agonisait. Ménichon fit partir une allumette, et regardant, sans quitter son lit, au cadran du coucou dont les aiguilles n'avaient pas bougé depuis l'introduction du galant « Vous êtes folle, ma mie, dit-il. Il est minuit! » Et il se retourna pour reprendre son sommeil! Ah! le malheureux Poildobus n'en pouvait plus! Sa langue, positivement pelée, refusait tout service. Il faisait des tic tacs haletant sans sonorités, déplorables, comme ceux d'un coucou poitrinaire.

Il recommandait son âme à Dieu, continuant de son mieux pour sauver sa complice, mais sentant bien qu'il allait rendre le dernier soupir dans un de ces tic tac-là. Les affres de l'agonie lui montaient au front déjà, en amères rosées, et ses jambes flageolaient comme celles d'un canard saoulé de vendange fraîche. Et le jour achevait de se lever et cette canaille de Ménichon n'en dormait que de plus belle. Avec délices, il contrepointait, de ses ronflements, la musique désespérée de Poildobus.

Tout à coup Jonas, réveillé, lui, par le jour, tira sa tête de dessous son aile, secoua son plumage et, pour saluer l'aurore d'un effort de mémoire, commença à faire aussi « tic! tac! tic! tac! »

« Ah! mon Dieu, pensa madame Ménichon, deux coucous à la fois vont le faire bondir du lit! » Mais Poildobus, secouru à temps, s'était tu. Après avoir remercié la Providence qui lui donnait un remplaçant dans ce moment critique, il reprit le chemin de la lucarne, ouvrit la porte sans bruit et disparut, cependant que Ménichon dormait toujours et que le perroquet continuait « tic! tac! »

Madame Ménichon, qui avait tout vu et qui était pieuse, remercia Dieu aussi de ce salut inespéré. Puis, regardant par hasard le cadran dans la chambre devenue claire, elle poussa rudement son mari par l'épaule en lui criant: « Eh! paresseux! lève-toi donc! Il est midi! » Et elle lui montrait les aiguilles toujours immobiles sur le nombre XII écrit en chiffres romains.

Ménichon, convaincu et honteux, sauta sur sa culotte et disparut à son tour, craignant que son ami Pigevent ne l'attendit plus.

Alors la grosse dame se leva et alla tranquillement remonter le salutaire coucou. Puis elle fit emporter Jonas et se remit au lit pour y penser à Poildobus, cependant que Ménichon allait se casser le nez chez Pigevent. C'est ainsi que tout réussit aux honnêtes gens.