1895
Nouvelles gaudrioles
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Miousic
I
Je ne pouvais souffrir autrefois ni les avocats ni les
perroquets, ni les médecins ni les singes. Le temps m'a rendu plus
tolérant et j'estime qu'il n'est sot métier ni bête indigne
d'affection. Je n'ai jamais eu de singe parce que j'ai peur des
animaux qui vous réservent de promptes funérailles, supportant mal
notre climat, et que la vue de ces condamnés à mort m'est pénible,
même pendant leur période de feinte santé. Mais j'ai eu et j'ai
encore des perroquets, parce que précisément
ces oiseaux sont d'une
longévité extraordinaire et que vous avez toutes les chances
du monde de mourir avant eux. J'ai donc étudié leurs moeurs et n'ai
à en rendre que de bons témoignages. Notre ciel inclément les
détourne de l'amour au profit de la musique, absolument comme les
petits soprani qui enchantaient les oreilles des papes. On peut dire
d'eux qu'ils font de leur voix tout ce qu'ils veulent. C'est du
gosier seulement qu'ils articulent, ce qui les rend idoines à
traduire tous les sons
de quelque nature qu'ils soient, qu'ils sortent de lèvres
humaines ou d'ailleurs, du bois qu'on scie, de la planche qu'on
rabote, du tambour qu'on frappe, et avec le même intérêt que s'ils
récitaient une admirable page de Bossuet. Ce serait donc une erreur
considérable que de croire qu'ils se passionnent pour le sens de nos
discours et qu'ils ont l'intention de nous imiter dans les usages
que nous faisons de la parole.
Le bruit d'un moulin à
vent leur paraît aussi éloquent qu'une harangue de Gambetta ou une
strophe de Musset. Beaucoup de perroquets sans plumes et que
nous qualifions de concitoyens sont au fond comme eux.
Allez donc vous étonner, après cela, qu'un perroquet
ayant vécu pendant plusieurs mois de traversée avec des matelots
absolument malappris, cyniquement grossiers, se complaisant
d'ailleurs à lui polluer la mémoire des plus ordes vilenies,
s'exprime autrement qu'un jeune prince élevé sur les genoux de
madame Campan.
Tel était le cas de
Mikado, un joli perroquet vert, de l'espèce dite des
Amazones, avec
un liséré rouge aux ailes, une pointe d'or à la perruque et autour
des yeux, d'or aussi mais plus sombre, un frisson de cils toujours
en mouvement. Son éducation à bord avait été la plus détestable du
monde. Non seulement les gros mots lui poussaient au bec avec une
incroyable facilité,
mais il reproduisait, avec une fidélité parfaite, les bruits les
plus malséants que comportent les digestions difficiles des gens mal
élevés. Il canonnait à l'envi, à tout propos, comme un moine
trop repu et qui se croit seul après les vespres. Toute la lyre
d'Eole était cachée dans sa petite langue noire et épaisse. Il
faisait retourner les gens qui ne pouvaient retenir un « Cochon »
indigné. Il possédait, dans ses effets harmonieux les plus complexes,
et comme pas un, la
gamme de ces indiscrétions intestinales, depuis le susurrement
sournois jusqu'au pétard impertinent. Il graduait, modulait,
contrepointait, trillait comme il avait entendu faire aux mathurins
facétieux qui n'ont pas à leur service l'esprit de Rivarol ou
la fantaisie de Nodier
pour égayer leurs veillées. Et, après cela, il imitait le rire des
spectateurs malotrus; il riait impudemment, en se grattant
malicieusement le dessus de l'oeil de la pointe de son ongle racorni
comme une feuille séchée.
Je dois à la vérité de dire que quand mademoiselle
Henriette de Saint-Ildefonse l'avait acheté au Havre, puis apporté à
Paris dans un sabot de bois blanc, elle ignorait absolument le genre
de bavardage auquel Mikado était accoutumé. Elle avait été séduite
simplement par la beauté de son plumage et l'intelligence menteuse
de sa physionomie. Comme on l'allait marier, à demi contre son gré,
avec un chevalier des Oursins âgé de soixante ans, c'est-à-dire
comptant une quarantaine de printemps de plus qu'elle, elle pensait
qu'un compagnon lui serait utile pendant les longues solitudes qu'un
tel mariage comporterait. Mikado qui n'était pas hypocrite, il le
faut reconnaître, l'édifia rapidement sur la nature de son éloquence.
Mais elle l'aimait déjà; et puis elle pensa qu'il se déshabituerait,
qu'il oublierait. Les hommes oublient bien! Témoin son cousin
Ferdinand qui, autrefois, lui avait fait la cour, quand il n'était
encore qu'au collège, et qui la laissait tranquillement marier à un
vieux, sans la venir défendre. Pauvre Henriette! Ce qu'elle haïssait,
par avance, ce chevalier des Oursins!
Et comme elle avait raison! C'était un gentilhomme
chasseur, insupportable et, de plus, bégueule, ayant des prétentions
aux nobles façons et ne pardonnant aucune infraction à l'étiquette.
Aussi, deux jours après le mariage, quand Mikado,
pendant le déjeuner, imita le bombardement de Tanger et commença sa
pétardière symphonie:
- Holà! Holà! cria le hobereau. Qu'on m'enlève ce
sale oiseau qui empoisonne!
- Pardon mon ami! hasarda la jeune chevalière. C'est
avec le bec.
C'en était fait. La guerre était déclarée entre les
deux époux.
Ce n'était plus que sournoisement, à la dérobée, que
la pauvre Henriette pouvait goûter la société de son oiseau favori.
Dès que le chevalier rentrait, il fallait qu'on emportât Mikado. Un
jour que celui- ci, avant de s'en aller, lui avait fait le salut
militaire en une belle canonnade, le gentillâtre n'y tint plus:
- Madame, s'écria-t-il, je vais chasser le sanglier
demain et ne reviendrai que huit jours passés. Si à mon retour vous
ne me présentez ce misérable perroquet
empaillé, par
tous les Oursins de ma famille, je vous enferme vous-même dans mon
vieux château périgourdin et oncques ne reverrez Paris de votre
prisonnière existence. J'ai dit.
Il était déjà en habit de chasse, son cor à la main,
- dont le vacarme était autrement déplaisant que les inodores fusées
de Mikado.
Henriette pensa que le mieux était de feindre de se
soumettre à cette vieille bourrique. En grand'hâte, elle acheta,
chez un naturaliste, - ainsi se baptisent, un peu insolemment pour
la mémoire de Buffon, messieurs les empailleurs, - un perroquet
pareil à Mikado, bourré de foin et les ailes maladroitement
ëntr'ouvertes, et le posa sur la cheminée de la chambre du chevalier,
sous un trophée cynégotique où s'étalaient les dépouilles de ses
victimes.
- Etes-vous content, monsieur? demanda-t-elle au
chasseur qui revenait d'assez mauvaise humeur, - car il était
bredouille, - mais qui s'esclaffa joyeusement de rire devant le
spectre imposteur de Mikado.
- Il est joliment mieux comme ça fit-il, tout en
tendant ses lourdes bottes à un valet.
Et, pendant ce temps-là, Mikado, le vrai Mikado,
l'authentique Mikado, était fort bien soigné dans une chambre du
haut où M. le chevalier ne montait jamais et dans laquelle Henriette
passait maintenant le meilleur de ses journées.
II
La première partie de l'automne, aux rouilles pâles
encore, s'était achevée en cette existence monotone, quand un
événement inattendu mit un peu de variété dans la seconde moitié,
couronnée d'or plus sombre et plus enfoncée dans les brumes
matinales. C'est que le cousin Ferdinand, qui n'avait pas tant
oublié que ça la cousine Henriette, était reparu à l'horizon, après
une longue promenade dans les mers lointaines. Henriette découvrit,
avec joie, qu'il était encore amoureux d'elle et, n'ayant jamais eu
pour lui que les plus bienveillantes dispositions, s'abandonna, sans
réserve, à cette affection partagée et pleine de poétiques souvenirs
d'enfance. Notre chevalier des Oursins, souvent absent pour ses
meurtriers plaisirs, commença donc d'être outrageusement cocu dans
ses propres lares. Comme tout son domestique le haïssait et était
infiniment dévoué à la chevalière, celle-ci put recevoir son cousin
tant qu'elle voulut pendant les absences de son mari. Ah! ce lui fut
une rude consolation des tristesses matrimoniales! Mikado, lui-même,
fut un peu négligé pour son rival. Il n'en devint que plus venteux
et plus malappris dans ses discours.
Et les choses allaient ainsi pour le mieux, nos
amoureux se gênant de moins en moins, quand Ferdinand, en une de ses
visites adultères, s'avisa d'apporter un cassoulet de Castelnaudary,
pour le manger avec sa bonne amie, cependant que le mari de celle-ci
pourchassait le renard on ne sait où.
Ce fut une adorable dînette, au coin d'un grand feu
de genevrotes, comme on en allume en cette saison. Henriette mangea
peu de cassoulet, mais Ferdinand, qui avait à se refaire, en fit une
orgie véritable. Puis on remonta dans la grande chambre où le lit
grand ouvert attendait, prêt à refermer ses bras de neige tiède sur
leur coupable bonheur.
Un appel de cor, dans la grande cour. C'est le
chevalier qui revient, toujours bredouille, deux jours avant le
retour annoncé. Ferdinand a juste le temps de se sauver dans le
cabinet de toilette attenant à la grande chambre aux rideaux tout
parfumés de baisers interrompus.
M. le chevalier, de méchante humeur encore, se
dispose à profaner le lit de neige tiède, en compagnie de sa
légitime épouse qui tremble comme une feuille au vent du soir.
Tout à coup une musique diabolique, tumultueusement
éolienne, bombardante et tonitruante, sort du cabinet de toilette,
dont la porte fermée en est comme secouée.
- Nom de nom! fit le chevalier en bondissant.
Apprenez-le tout de suite, impatients amis suspendus
à ma plume comme des naufragés à un mât égratignant la mer, c'était
notre malheureux Ferdinand, victimé par le cassoulet, qui, aprés des
efforts héroïques pour en emprisonner les révoltes sonores,
renonçait à la lutte et s'abandonnait à ce malséant charivari. Et le
cassoulet faisait rage on eût dit l'explosion d'une cartoucherie,
tant ces petits haricots de Pamiers sont d'humeur guerrière! Pan!
Pan! Pan! Pan! Pan!
Le chevalier allait s'élancer vers le lieu du
sinistre. Mais Henriette affolée, illuminée cependant d'une
inspiration subite, s'était cramponnée après lui:
- Pardon! Pardon! disait-elle. Eh bien oui, je ne
l'avais pas fait empailler!
- Hein? fit le chevalier.
Tu ne reconnais pas sa voix? C'est Mikado que j'ai
arraché à ta rage. Je l'avais pris un moment avec moi et je n'ai eu
que le temps de le cacher là.
Le chevalier était ahuri.
- Je veux voir tout de même, fit-il.
Mais elle l'enlaça si bien de ses beaux bras blancs
qu'elle le ramena vers le lit toujours accueillant et tiède:
- Je te le montrerai demain.
Et elle le lui montra le lendemain, et il fut
parfaitement convaincu, avec cinq lettres en trop dans l'adjectif
que je lui décerne. De belle humeur, après les doutes qu'il avait
eus, il fit grâce à Mikado, et Ferdinand, délivré dès la première
heure, vient toujours voir sa bonne amie. Mais il n'apporte plus de
cassoulet.
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Jeanne-Louise-Henriette Campan (1752-1822),
opvoedkundige en hofdame van Marie-Antoinette
Antoine
Rivarol, auteur (1753-1801) en Charles Nodier, bibliothecaris en
schrijver (1780-1844)
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