I
- Et tu crois
vraiment, mon pauvre Pamphile, que ton oncle Guilledou nous
déshéritera?
- Je n'en fais
aucun doute, ma pauvre Amélie.
- Mais, enfin,
pourquoi? un homme qui t'adorait! qui t'a élevé! qui est ton parrain
et qui te doit une compensation pour le fichu nom qu'il t'a donné!
- C'est le
sien. Mais ne parlons plus de cela, ma mignonne.
– Si fait,
Pamphile. Tu me caches quelque chose. Qu'y a-t-il eu entre ton oncle
et toi? On m'a dit que c'était un homme sévère, de mœurs
insupportablement pures, mais excellent au fond. Aurais-tu fait des
folies de jeune homme qui te l'aient aliéné pour toujours?
- Ah! par
exemple, Amélie! ne t'ai-je pas juré que tu étais mon premier et
mon unique amour?
- Que veux-tu,
je tenais à cela. Je sais qu'il y a des jeunes filles qui épousent
des noceurs et qui sont, tout de même, parfaitement heureuses on
menage. Mais moi j'avais toujours fait le rêve d'un cœur vierge
comme le mien, comme le mien sans souillure. Notre cher Musset l'a si
bien dit:
Ah! malheur à
celui qui laisse la débauche
Planter le
premier clou sous sa mamelle gauche!
- Pas de petit
clou sous la mienne, Amélie. Regarde plutôt.
- Comme tu as
les nénés blancs, mon amour! Oui, je te crois. Alors je ne comprends
plus rien à l'attitude de ce vieillard ridicule à ton endroit. Quand
nous lui avons annoncé notre mariage, il ne t'a même pas répondu.
Eh bien, qu'il garde son sale argent! Ne sommes-nous pas heureux ainsi,
Pamphile?
- Au comble du
bonheur, ma délicieuse Amélie! Mais le vieux grigou y aurait ajouté
quelques mille livres de rente que rien n'en eût été gâté.
Embrasse-moi, ma pauvre chérie. Il est temps de se lever.
- Oh! Non!
Pamphile! pas encore. Au moins si nous n'avons que ça...
Et il se fit
une silence dans la chambre où devisait ainsi, dans la tiédeur
matinale d'un grand dodo, pas trop grand cependant pour de véritables
amoureux, le jeune ménage Mistouflette. Un bruit vague de baisers
succéda a ces propos pleins d'une amertume a demi consolée. Ils
avaient bien raison. Ce qu'ils possédaient vaut mieux que des
cheques. Pamphile surtout. Car croyez que les nénés d'Amélie
étaient encore plus blancs que les siens et encore n'etaient-ils que
le premier chant d'un admirable poème dont, par pudeur, je ne vous
décrirai pas les beautés provocantes à l'envi. Un clavier
merveilleux que cette petite femme et dont l'heureux organiste
connaissait tous les secrets. Car il est quelquefois, dans les
ménages, des trésors perdus par la maladresse de leur propriétaire.
Mais ce n'était pas le cas.
Tout à coup
retentit un coup de sonnette. Puis l'unique servante du jeune couple,
après avoir discrètement frappé à la porte, apporta une lettre,
avec, au coin, sur l'enveloppe, cette mention apposée au timbre M'
Léchât de Mabru, notaire.
- Le notaire
de mon oncle s'écria Pamphile interloqué.
- Lisons vite,
dit Amélie.
Et ils
passèrent, une fois l'enveloppe jetée à terre au pied du lit, de
l'étonnement à la plus pure ivresse. Le testament contenait, entre
autres, cette clause tout à fait inattendue et originale: je lègue
à mon neveu Pamphile Mistouflette, fils de ma sœur bien-aimée, mon
perroquet
,
avec une rente viagère de six mille francs par an, destines à rendre
heureux cet animal jusqu'au bout de sa carrière et qui cessera, de
fait et de droit, à sa mort.
- Ah! viagère
était pour le perroquet? observa Amélie.
- Ça vit
très vieux, répondit Pamphile, et puis nous la soignerons si bien!
Ça peut bien coûter à nourrir une dizaine de sous par jour, même
en lui donnant un petit verre de Bordeaux sucré de temps en temps,
soit 182 fr. 50 par an; il nous restera pour notre peine, 5.818
francs. Que le nom de mon oncle Guilledou soit béni!
- Mais il est
peut-être déjà vieux, ce perroquet? risqua justement Amélie.
- Non! je sais
que mon oncle l'a élevé lui-même et il ne l'avait pas encore quand
j'étais auprès de lui. C'est même cet oiseau qui m'a remplacé dans
son affection. On m'a dit qu'il était étonnant et répétait non pas
seulement tout ce qu'il entendait dire avec une mémoire parfaite,
mais même tous les bruits qu'il entendait autour de lui.
- Nous nous
amuserons beaucoup à l'écouter.
- Ah! il y a
un post-scriptum à la lettre de Me Lechat de Mabru;
quelques détails sur les derniers moments de mon oncle.
- De quoi
est-il mort?
- D'une
tympanite flatulente dont il souffrait depuis longtemps. Eh bien, si
son perroquet a écouté ses derniers soupirs...
- Taisez-vous,
Pamphile. Je vous défends de plaisanter la mémoire d'un homme que
nous avons calomnié et qui nous met à l'aise par son trépas.
Et, dans la
candeur exquise de son âme, la délicieuse Amélie se mit à genoux
sur le grand dodo tiède et dit un Pater et un Avé pour
le salut de l'oncle Guilledou.
II
Tamerlan
n'était pas précisément beau. Sous son plumage vert il avait l'air
à la fois embarrassé et narquois d'un jeune académicien au petit
lever d'un grand seigneur. Il n'était d'ailleurs pas moins bavard
qu'un académicien. Ses premiers mots furent, une fois arrivé dans le
ménage Mistouflette: ‘Encore une! Cochon de Pamphile!’
- Qu'est-ce à
diré? demanda Amélie. C'est donc votre oncle qui parlait ainsi
irrespectueusement de vous?
- Il ne sait
ce qu'il dit, riposta vivement Pamphile. Puis s'adressant au
perroquet: Vas-tu te taire, animal!
- Prout! fit
Tamerlan.
- Ça, c'est
la tympanite à mon oncle. J'en étais sûr qu'il l'avait gardé
auprès de lui.
- ‘Bon! une
blonde, maintenant. Salop de Pamphile!’ tel fut le second discours
de Tamerlan.
- Hein! fit
Amélie. Qu'est-ce que vous lui faisiez donc, à cette blonde dont
votre oncle a encore parlé?
- Cet animal
déraisonne. Te tairas-tu, oiseau de malheur!
- Prout! Prout!
Prout! fit Tamerlan.
- Mon pauvre
oncle était déjà plus malade.
- ‘Une brune,
alors? Ça va bien! paillard de Pamphile!’ poursuivit le perroquet.
- Oh! mais!
Qu'est-ce que j'apprends? fit Amélie hors d'elle. Vous aviez des
maîtresses, malheureux!...
- Je te jure
que cette bête n'a pas le sens commun. C'est imbécile, les
perroquets. Veux-tu que je t'écrase, volatile calomniateur?
- Prout! Prout!
Prout! Prout! Prout! fit Tamerlan.
- Ça, c'est
drôle, dit Pamphile en s’efforçant de rire. Bien plus drôle! Le
bonhomme devait être presque à l'agonie.
- ‘Toutes
alors! flchez-moi le camp! Putassier de Pamphile! continua l'oiseau.
- Tiens! Pan!
Misérable! Et Amélie, tout à fait exaspérée de ces confidences
posthumes de l'oncle Guilledou, avait donné une grande claque a son
mari.
- Touché! fit
celui-ci, qui avait une bonne éducation d'escrimeur. Tamerlan, pas un
mot de plus!
- ‘Cochon de
Pamphile! salop de Pamphile! putassier de Pamphile! paillard de
Pamphile!’
- Ah! tais-toi!
tais-toi!
- ‘Opprobre
de la famille! A la porte! à la porte! à ia porte!’
Ah! Pamphile
n'y tint plus. Malgré les efforts d'Amélie pour le retenir, il se
précipita sur le perroquet, lui chercha nerveusement le cou dans les
plumes hérissées, et meurtrissant, sous ses doigts, la chair noire,
le tordit comme un mouchoir mouillé en piétinant de colère.
L'oiseau fit:
Prout! prout! prout! prout! couic!
Il était
mort. Sans être apaisé encore, Pamphile le jeta violemment à terre.
Le paquet inerte de plumes s'écrasa sur le sol, les pattes seules
s'agitant encore en de vagues convulsions.
- Et tu disais
que les perroquets vivent très vieux! dit Amélie terrifiée et toute
en larmes.
- Ça dépend
de leur constitution, répondit durement Pamphile.
- Mais, nous,
nous sommes jeunes, et voilà notre pauvre rente viagère dans l'eau.
Avec une
tendresse infinie, en un élan d'indicible abandon et de vague remords,
suppliant et dominateur à la fois, il prit dans ses bras la jeune
femme et mangea son front, d'abord, puis sa bouche, de baisers, la
humant comme un bouquet, l'enlaçant comme un lierre et, en mots
entrecoupés, il parlait: - Oui, oui, je t'ai menti. J'avais eu des
maîtresses. Mais je n'ai adoré que toi. Ne regrette pas l'argent.
J'aime mieux que tu n'aies pas de peine. Ce que nous avons ne vaut-il
pas mieux?
Si le silence
a une éloquence, je crois qu'elle fut du même avis.
Tamerlan ne
fut pas enterré... il fut enfoui...