|
BIBLIOTHEQUE
|
|
|
|
Over een papegaai die niet van de
natuur houdt en zeer zwijgzaam is geworden, maar die niettemin een
toekomstvisie heeft op de ontwikkelingen van de letteren
|
|
1894
Veillées
joviales
|
La
gaieté de Jacquot
A Aurélien Scholl
Je crois que peu de gens, vous excepté, mon cher
Maître et ami, ont vécu avec plus de bêtes que moi. Ça m'a reposé
des hommes. Jamais, en effet, je n'ai eu à me plaindre du commerce
des animaux, d'autant que chez les animaux l'amitié n'est pas un
commerce. Ils se donnent - avec une pointe d'intérêt bien excusable
quelquefois: voilà tout.
Mes premiers pensionnaires ont été des souris et des
moineaux. Mais j'ai élevé aussi des lézards et des scarabées. Au
même titre que le pauvre Cladel, j'aurais pu être fier de ma
kyrielle de chiens. Je partage actuellement ma tendresse entre un âne,
des toutous variés et des chats qui vivent fort bien ensemble. Je
n'aurais aucune répugnance à élever des éléphants et des fauves,
si mes moyens me le permettaient .
Il n'y a que le perroquet et le singe dont j'ai toujours refusé
obstinément la compagnie. Ils sont vraiment trop près de nous,
celui-ci par sa voix et celui-là par les gestes. Ce n'est vraiment
plus la peine de s'exiler de sa propre espèce pour en rechercher la
contrefaçon. Je m'étais juré
de n'avoir jamais ni l'un ni l'autre. Un serment de plus que j'aurai
mal tenu.
Voici comment je me trouve aujourd'hui affublé d'un
perroquet, d'autant plus haïssable qu'il
prononce absolument comme un homme, et de façon à faire tout à fait
illusion. Pas même le charme d'un accent exotique. Il parle un
excellent français.
Quand j'arrivai dans le Midi, on me fit observer que
je manquerais à toutes les convenances en n'allant pas faire une
visite à ma vieille cousine Pétensac dont le mari venait de mourir
à Vicdesos (Ariège). Mon cousin feu Pétensac était un notable dans
la famille. Il s'occupait énormément de politique et ça avait dû
l'embêter particulièrement de trépasser avant les élections.
Orateur populaire, il vous jouait, comme pas un, du suffrage universel,
dans un pays où l'on joue particulièrement aux boules et le dimanche
seulement. Lui travaillait toute la semaine, endoctrinait les tièdes,
surchauffait les fervents, radicalisait à domicile, parlait beaucoup
et n'écrivait jamais, ce qui lui avait permis de changer souvent
d'opinions sans qu'on s'en aperçût trop et sans qu'on lui fourrât
le nez dans les anciennes, à l'occasion. Dans un pays où
l'éloquence est de race, il était éloquent entre tous, au moins par
la quantité des choses qu'il disait. Ah! sa pauvre veuve, bien que
dévote, avait éprouvé une admiration pour le moulin à mots! Et
cependant le cousin Pétensac était devenu un anticlérical fougueux,
après avoir été élevé au séminaire.
Il n'en avait que plus de mérite, disait-il, à
confondre les faux dieux! Moi, par principe, je ne suis pas pour les
oiseaux qui font caca dans leur nid.
J'avoue donc que, personnellement, la mort de ce
collatéral m'avait été profondément indifférente. Mais la vieille
cousine, sa femme, avait été très bonne pour moi, quand j'étais
enfant. J'allai donc mêler à ses larmes je ne sais quoi qui me vint
aux yeux: par un attendrissement bête, quand elle me serra dans ses
bras. «Que ton pauvre cousin eût été heureux de te voir! » me
dit-elle. J'eus la politesse de ne lui pas répondre que ce bonheur
n'eût pas été partagé. Dès l'émoi de ce premier entretien, j'en
fus distrait par le bruit que faisait, en s'ébrouant, un énorme
perroquet mélancoliquement perché sur un bâton. - Le perroquet de
ton cousin! me dit la vieille en regardant l'oiseau avec
attendrissement. Il
répétait tout ce que disait le pauvre cher homme.
Il s'ennuie maintenant avec nous. Ça
l'agace même de m'entendre dire des prières.
Tu devrais bien l'emporter.
Je protestai vivement, en invoquant l'impiété qu'il
y aurait, de sa part, à se séparer du souvenir rivant d'un mort
aimé.
Mais ma cousine insista avec des arguments à la fois
touchants et flatteurs. Cette bête était habitué à la société
d'un homme intelligent, supérieur. J'étais le seul dans la famille
qui fut digne de lui conserver une société équivalente. Il mourrait
certainement de consomption avec des gens n'ayant aucun mouvement dans
les idées. Il s'agissait de sauver sa vie. Et puis je n'avais pas
d'enfants. Les perroquets vivent très vieux. Celui-là me rendrait
les derniers devoirs, à la condition toutefois que je ne fisse pas
venir de prêtre, car
il avait terriblement engueulé celui qui s'était hasardé au chevet
de mon cousin. Je suis faible et
j'acceptai. Et voilà comment, il y a trois semaines, j'ai amené, à
Argelès, dans la plus aimable des stations pyrénéennes, un
compagnon qui commença par être le plus maussade que j'aie
rencontré jamais. Habitué, en effet, à vivre dans l'officine à
discours où beuglait mon cousin, tout seul, avant de les aller
débiter à la foule, Jacquot
parut absolument dégoûté par l'aspect grandiose de la nature.
Il cachait sa tête sous son aile, devant la beauté du paysage, et la
secouait ensuite pour chasser de ses yeux, comme une vile poussière,
tout ce qui avait pu y entrer de verts tendres et de délicats azurs.
Ayant donc dû renoncer à le faire vivre en plein air, comme j'en
avais eu d'abord le projet, je l'installai dans le petit cabinet de
travail que je me suis fait là-bas auprès d'un bosquet de bambous,
dont ma fenêtre est caressée, en laissant les persiennes à demi
fermées pour que ce tableau gracieux ne l'incommodât pas.
II
On m'avait dit qu'il répétait ce que mon cousin
disait à haute voix. Je dois constater qu'il ne me fit pas le même
honneur; non pas que je me livre souvent aux douceurs intimes du
monologue, mais il m'arrive toutefois de bourdonner mes alexandrins
tout en marchant de long en large. Il
n'en put jamais prononcer deux de suite, sans qu'un formidable et
très distinct: ‘Crotte!’ sortit immédiatement du bec frémissant
de Jacquot. Il lui arriva même
plusieurs fois de se rapprocher davantage encore du texte de Cambronne.
Je dus renoncer à composer mes vers en parlant. Mais quand je me
mettais à ma table pour les écrire, c'était bien autre chose.
La vue d'un scribe - j'ai dit que feu mon cousin Pétensac, comme tous
les hommes politiques prudents, n'écrivait jamais - mettait
positivement cet oiseau dans un état de mauvaise humeur incomparable.
Il s'agitait sur son perchoir en me regardant avec de méchants yeux,
à moins qu'il ne descendît sur la table même avec ses lourdes
pattes et ne vint traîner ma plume, en me faisant faire des pâtés
sur ma copie. Je suis invinciblement doux avec les animaux. Je me
contentais de le menacer de lui donner une gifle. Mais il me
contemplait d'un air indifférent qui voulait dire nettement: ‘Inutile!
Un homme qui fait des vers est un disqualifié pour moi’. Ah! je
commençais à en avoir assez du présent de ma vieille cousine
Pétonsac! Car ce n'était pas tout. Il
lui arrivait encore, quand il m'avait bien regardé écrire un mot,
avec une expression narquoise dans le regard, de hausser
malhonnêtement les ailes et de laisser choir sur le bois, à deux pas
de mon nez, un signe manifeste de son mépris pour ma littérature.
Et les choses en étaient là quand, il y a une
quinzaine, - un peu plus peut-être une des joies des vacances est
d'oublier le calendrier, - cet animal morose, hypocondriaque,
renfrogné, tout à l'heure bougon comme un vieux sacristain, partit d'un
inextinguible éclat de rire,
cependant que mon ami Marcel me lisait, dans la Depêche, les
commentant avec moi, les singulières nouvelles de l'Académie. Oncque
ne vit-on, j'imagine, chez un oiseau, un pareil accès d'hilarité. Il
se tordait sur son ventre, en riboulant de petits yeux mouillés de
joyeuses larmes, piétinant son bâton, portant sa patte à son bec
pour ne pas étouffer, et poussant des Ah! Ah! Ah! Ah! tellement
exaspérés que les paysans s'arrêtaient devant la porte pour tâcher
de voir ce qu'il y avait de si drôle dans la maison.
Et cela dura des heures - au fait jusqu'à la nuit -
mais recommença le lendemain. Et, comme il nous regardait toujours,
mon ami Marcel et moi, en faisant cette musique, je soupçonnai qu'il
se fichait de nous. Je ne voulus pas éclaircir immédiatement
et publiquement ce soupçon, craignant que, plus
susceptible que moi, mon ami prit mal la chose. Mais, quand tout te
monde fut couché, je redescendis dans mon cabinet, et je secouai
vivement Jacquot par l'aile pour on obtenir une explication. J'avais
toujours pensé, en effet, que les perroquets savent fort bien ce
qu'ils disent et que c'est une comédie qu'ils nous jouent, on
feignant de ne pas le comprendre, pour pouvoir nous dire de vilains
mots sans que nous ayons le droit de nous en fâcher. Surpris dans son
premier sommeil, et terrifié par mon audace, Jacquot devait
certainement avouer son secret.
Je ne m'étais pas trompé.
- As- tu bien ri, Jacquot? lui demandai-je. Et de quoi?
La lune nous éclairait, l'un et l'autre,
fantastiquement, et j'avoue que j'eus un frisson d'épouvanté dans le
dos, quand il me répondit, très calme:
- Mais de la réforme de l'orthographe. Du moment
qu'on écrit comme on prononce et que, grâce au téléphone, on
n'écrira bientôt plus, j'en sais absolument autant que vous. Et moi
aussi je suis gent-de-lettre et poète, maintenant, puisque je
prononce!
Et, comme je le regardais effaré, il ajouta avec une
bonhomie railleuse et sur un ton destiné certainement à me rassurer,
tout en se rengorgeant dans son épaisse collerette naturelle:
- De vous à moi, ce qui me flatte le plus, c'est que
cette belle invention est due à des gens habillés de vert comme moi!
|
|
|
|