[Vroegere versie] Vairvert 1736 De Hondt
La Haye |
Basiseditie Gresset (1732) |
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Chant 1 |
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Vous, près de qui les
graces solitaires |
Vous, près de qui les
graces solitaires |
brillent sans fard,
et regnent sans fierté, |
brillent sans fard,
et regnent sans fierté, |
vous, dont l'esprit,
né pour la vérité, |
vous, dont l'esprit,
né pour la vérité, |
sçait allier à des
vertus austeres |
sçait allier à des
vertus austeres |
le goût, les ris,
l'aimable liberté ; |
le goût, les ris,
l'aimable liberté ; |
puisqu'à vos yeux
vous voulez que je trace |
puisqu'à vos yeux
vous voulez que je trace |
d'un noble oiseau la
touchante disgrace, |
d'un noble oiseau la
touchante disgrace, |
soyez ma muse,
échauffez mes accens, |
soyez ma muse,
échauffez mes accens, |
et prêtez-moi ces
sons intéressans, |
et prêtez-moi ces
sons intéressans, |
ces tendres sons que
forma votre lyre, |
ces tendres sons que
forma votre lyre, |
lorsque Sultane, au
printems de ses jours, |
lorsque Sultane, au
printems de ses jours, |
fut enlevée à vos
tristes amours, |
fut enlevée à vos
tristes amours, |
et descendit au
ténébreux empire : |
et descendit au
ténébreux empire : |
de mon héros les
illustres malheurs, |
de mon héros les
illustres malheurs, |
peuvent aussi se
promettre vos pleurs. |
peuvent aussi se
promettre vos pleurs. |
Sur sa vertu, par le
sort traversée, |
Sur sa vertu, par le
sort traversée, |
sur son voyage et ses
longues erreurs, |
sur son voyage et ses
longues erreurs, |
on auroit pû faire
une autre odissée ; |
on auroit pû faire
une autre odissée ; |
et, par vingt chants,
endormir les lecteurs : |
et, par vingt chants,
endormir les lecteurs : |
on auroit pû, des
fables surannées, |
on auroit pû, des
fables surannées, |
ressusciter les
diables et les dieux ; |
ressusciter les
diables et les dieux ; |
des faits d' un mois,
occuper des années ; |
des faits d' un mois,
occuper des années ; |
et, sur des tons d'
un sublime ennuyeux, |
et, sur des tons d'
un sublime ennuyeux, |
psalmodier la course
infortunée |
psalmodier la course
infortunée |
d' un perroquet, non
moins brillant qu' énée, |
d' un perroquet, non
moins brillant qu' énée, |
non moins dévôt, plus
malheureux que lui. |
non moins dévôt, plus
malheureux que lui. |
Mais trop de vers
entraînent trop d' ennui. |
Mais trop de vers
entraînent trop d' ennui. |
Les muses sont des
abeilles volages ; |
Les muses sont des
abeilles volages ; |
leur goût voltige, il
fuit les longs ouvrages ; |
leur goût voltige, il
fuit les longs ouvrages ; |
et, ne prenant que la
fleur d' un sujet, |
et, ne prenant que la
fleur d' un sujet, |
vole bien-tôt sur un
nouvel objet. |
vole bien-tôt sur un
nouvel objet. |
Dans vos leçons j'ai
puisé ces maximes ; |
Dans vos leçons j'ai
puisé ces maximes ; |
puissent vos loix se
lire dans mes rimes ! |
puissent vos loix se
lire dans mes rimes ! |
Si, trop sincere, en
traçant ces portraits, |
Si, trop sincere, en
traçant ces portraits, |
j'ai dévoilé les
mistéres secrets, |
j'ai dévoilé les
mistéres secrets, |
l'art des parloirs,
la science des grilles, |
l'art des parloirs,
la science des grilles, |
les graves riens, les
mistiques vetilles, |
les graves riens, les
mistiques vetilles, |
votre enjoûment me
passera ces traits ; |
votre enjoûment me
passera ces traits ; |
une
raison, exempte de foiblesses, |
votre
raison, exempte de foiblesses, |
sçait vous sauver ces
fades petitesses ; |
sçait vous sauver ces
fades petitesses ; |
sur votre esprit,
soumis au seul devoir, |
sur votre esprit,
soumis au seul devoir, |
l'illusion n'eut
jamais de pouvoir : |
l'illusion n'eut
jamais de pouvoir : |
vous sçavez trop
qu'un front que l'art déguise, |
vous sçavez trop
qu'un front que l'art déguise, |
plaît moins au ciel
qu'une aimable franchise. |
plaît moins au ciel
qu'une aimable franchise. |
Si la vertu se
montroit aux mortels, |
Si la vertu se
montroit aux mortels, |
ce ne seroit, ni par
l'art des grimaces, |
ce ne seroit, ni par
l'art des grimaces, |
ni sous des traits
farouches et cruels, |
ni sous des traits
farouches et cruels, |
mais sous votre air,
ou sous celui des graces |
mais sous votre air,
ou sous celui des graces |
qu'elle viendroit
mériter nos autels. |
qu'elle viendroit
mériter nos autels. |
Dans maint auteur de
science profonde, |
Dans maint auteur de
science profonde, |
j'ai lû qu'on perd à
trop courir le monde ; |
j'ai lû qu'on perd à
trop courir le monde ; |
très-rarement
meilleur on en devient, |
très-rarement
en devient-on meilleur : |
presque toujours pire encore revient, |
un
sort errant ne conduit qu'à l'erreur. |
mieux
vaut cent fois
vivre au sein de nos lares, |
Il
nous vaut mieux
vivre au sein de nos lares, |
et conserver,
paisibles casaniers, |
et conserver,
paisibles casaniers, |
notre vertu dans nos
propres foyers, |
notre vertu dans nos
propres foyers, |
que parcourir bords
lointains et barbares ; |
que parcourir bords
lointains et barbares ; |
sans quoi le cœur,
victime des dangers, |
sans quoi le cœur,
victime des dangers, |
revient chargé des
vices étrangers. |
revient chargé des
vices étrangers. |
Sûr
est ce point; mais pour preuve plus ample, |
L'affreux destin du héros que je chante, |
au
dernier siècle, il en fut un exemple |
en
éternise une preuve touchante : |
triste, étonnant, mais trop vrai; tot Nevers, |
tous
les échos des parloirs de Nevers, |
si l'on en doute, attesteront mes vers. |
si l'on en doute, attesteront mes vers. |
à Nevers donc chez les visitandines, |
à Nevers donc chez les visitandines, |
vivoit n'aguére un perroquet fameux, |
vivoit n'aguére un perroquet fameux, |
à qui son art et son cœur généreux, |
à qui son art et son cœur généreux, |
ses vertus même, et ses graces badines, |
ses vertus même, et ses graces badines, |
auroient dû faire un sort moins rigoureux, |
auroient dû faire un sort moins rigoureux, |
si les beaux cœurs étoient toûjours heureux. |
si les beaux cœurs étoient toûjours heureux. |
Vairvert (c'étoit
le nom du personnage) |
Ver-vert (c'étoit
le nom du personnage) |
transplanté là de l'indien rivage, |
transplanté là de l'indien rivage, |
fut, jeune encor, ne sçachant rien de rien, |
fut, jeune encor, ne sçachant rien de rien, |
au susdit cloître enfermé pour son bien ; |
au susdit cloître enfermé pour son bien ; |
il étoit beau, brillant, leste et volage, |
il étoit beau, brillant, leste et volage, |
aimable et franc comme on l' est au bel âge ; |
aimable et franc comme on l' est au bel âge ; |
né tendre et vif, mais encore innocent ; |
né tendre et vif, mais encore innocent ; |
bref, digne oiseau d'une si sainte cage, |
bref, digne oiseau d'une si sainte cage, |
par son caquet digne d'être en couvent. |
par son caquet digne d'être en couvent. |
Pas n'est besoin, je pense, de décrire, |
Pas n'est besoin, je pense, de décrire, |
les soins des sœurs, des nones, c'est tout dire ; |
les soins des sœurs, des nones, c'est tout dire ; |
et chaque mere, après son directeur, |
et chaque mere, après son directeur, |
n'aimoit rien tant ; même dans plus d'un cœur, |
n'aimoit rien tant ; même dans plus d'un cœur, |
ainsi l'écrit un chroniqueur sincére, |
ainsi l'écrit un chroniqueur sincére, |
souvent l'oiseau l'emporta sur le pere. |
souvent l'oiseau l'emporta sur le pere. |
Il partageoit dans ce paisible lieu, |
Il partageoit dans ce paisible lieu, |
tous les sirops dont le cher pere en Dieu, |
tous les sirops dont le cher pere en Dieu, |
réconfortoit ses entrailles sacrées, |
grace
aux bienfaits des nonettes sucrées, |
grace
aux bienfaits des nonettes sucrées. |
réconfortoit ses entrailles sacrées. |
Objet permis à leur oisif amour, |
Objet permis à leur oisif amour, |
Vairvert étoit
l'ame de ce séjour ; |
Ver-Vert étoit
l'ame de ce séjour ; |
exceptez-en quelques vieilles dolentes, |
exceptez-en quelques vieilles dolentes, |
des jeunes cœurs jalouses surveillantes, |
des jeunes cœurs jalouses surveillantes, |
il étoit cher à toute la maison. |
il étoit cher à toute la maison. |
N'étant encor dans l'âge de raison, |
N'étant encor dans l'âge de raison, |
libre, il pouvoit et tout dire et tout faire ; |
libre, il pouvoit et tout dire et tout faire ; |
il étoit sûr de charmer et de plaire. |
il étoit sûr de charmer et de plaire. |
Des bonnes sœurs égayant les travaux, |
Des bonnes sœurs égayant les travaux, |
il becquetoit et guimpes et bandeaux : |
il becquetoit et guimpes et bandeaux : |
il n'étoit point d' agréable partie, |
il n'étoit point d' agréable partie, |
s'il n' y venoit briller, caracoller, |
s'il n' y venoit briller, caracoller, |
se
pavaner,
siffler, rossignoler ; |
papillonner,
siffler, rossignoler ; |
il badinoit, mais avec modestie, |
il badinoit, mais avec modestie, |
avec cet air timide et tout prudent, |
avec cet air timide et tout prudent, |
qu'une novice a même en badinant. |
qu'une novice a même en badinant. |
Par plusieurs voix interrogé sans cesse, |
Par plusieurs voix interrogé sans cesse, |
il répondoit à tout avec justesse. |
il répondoit à tout avec justesse. |
Tel autrefois César, en meme tems, |
Tel autrefois César, en meme tems, |
dictoit à quatre, en stiles différens. |
dictoit à quatre, en stiles différens. |
Admis par tout, si l'on en croit l'histoire, |
Admis par tout, si l'on en croit l'histoire, |
l'amant chéri mangeoit au réfectoire : |
l'amant chéri mangeoit au réfectoire : |
là, tout s'offroit à ses friands desirs ; |
là, tout s'offroit à ses friands desirs ; |
outre qu'encor, pour ses menus plaisirs, |
outre qu'encor, pour ses menus plaisirs, |
pour occuper son ventre infatigable, |
pour occuper son ventre infatigable, |
pendant le tems qu'il passoit hors de table, |
pendant le tems qu'il passoit hors de table, |
mille bonbons, mille exquises douceurs |
mille bonbons, mille exquises douceurs |
chargeoient toujours les poches de nos sœurs. |
chargeoient toujours les poches de nos sœurs. |
Les petits soins, les attentions fines, |
Les petits soins, les attentions fines, |
sont nés, dit-on, chez les visitandines ; |
sont nés, dit-on, chez les visitandines ; |
l'heureux
Vairvert
l'eprouvoit chaque jour ; |
l'heureux
Ver-Vert
l'eprouvoit chaque jour ; |
plus mitonné qu'un perroquet de cour, |
plus mitonné qu'un perroquet de cour, |
tout s'occupoit du beau pensionnaire ; |
tout s'occupoit du beau pensionnaire ; |
ses jours couloient dans un noble loisir : |
ses jours couloient dans un noble loisir : |
au grand dortoir il couchoit d'ordinaire, |
au grand dortoir il couchoit d'ordinaire, |
là, de cellule il avoit à choisir : |
là, de cellule il avoit à choisir : |
heureuse encor, trop heureuse la mere |
heureuse encor, trop heureuse la mere |
dont il daignoit au retour de la nuit, |
dont il daignoit au retour de la nuit, |
par sa présence honorer le réduit ! |
par sa présence honorer le réduit ! |
Très-rarement les antiques discretes, |
Très-rarement les antiques discretes, |
logeoient l'oiseau ; des novices propettes |
logeoient l'oiseau ; des novices propettes |
l'alcove simple étoit plus de son goût ; |
l'alcove simple étoit plus de son goût ; |
car, remarquez qu'il étoit propre en tout. |
car, remarquez qu'il étoit propre en tout. |
Quand, chaque soir, le jeune anachorette |
Quand, chaque soir, le jeune anachorette |
avoit fixé sa nocturne retraite, |
avoit fixé sa nocturne retraite, |
jusqu'au lever de l'astre de Venus |
jusqu'au lever de l'astre de Venus |
il reposoit sur la boëtte aux agnus : |
il reposoit sur la boëtte aux agnus : |
à son réveil, de la fraîche nonette |
à son réveil, de la fraîche nonette |
libre témoin, il voyoit la toilette, |
libre témoin, il voyoit la toilette, |
je dis toilette, et je le dis tout bas ; |
je dis toilette, et je le dis tout bas ; |
oüi, quelque part, j'ai lû, qu'il ne faut pas, |
oüi, quelque part, j'ai lû, qu'il ne faut pas, |
aux fronts voilés, des miroirs moins fideles |
aux fronts voilés, des miroirs moins fideles |
qu'aux fronts ornés de
cliquants et
dentelles : |
qu'aux fronts ornés de
ponpons et
dentelles : |
ainsi qu'il est pour le monde et les cours, |
ainsi qu'il est pour le monde et les cours, |
un art, un goût de modes et d'atours, |
un art, un goût de modes et d'atours, |
il est aussi des modes pour le voile ; |
il est aussi des modes pour le voile ; |
il est un art de donner d'heureux tours |
il est un art de donner d'heureux tours |
à l'étamine, à la plus simple toile : |
à l'étamine, à la plus simple toile : |
souvent l'essain des folâtres amours, |
souvent l'essain des folâtres amours, |
essain qui sçait franchir grilles et tours, |
essain qui sçait franchir grilles et tours, |
donne aux bandeaux une grâce piquante, |
donne aux bandeaux une grâce piquante, |
un air galant à la guimpe flotante ; |
un air galant à la guimpe flotante ; |
enfin, avant de paroître au parloir, |
enfin, avant de paroître au parloir, |
on doit au moins deux coups d'œil au miroir. |
on doit au moins deux coups d'œil au miroir. |
Ceci soit dit, entre nous, en silence ; |
Ceci soit dit, entre nous, en silence ; |
sans autre écart revenons au héros. |
sans autre écart revenons au héros. |
Dans ce séjour de l'oisive indolence, |
Dans ce séjour de l'oisive indolence, |
Vairvert
vivoit sans ennuis, sans travaux, |
Ver-Vert
vivoit sans ennuis, sans travaux, |
|
dans
tous les cœurs il regnoit sans partage |
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pour
lui sœur Thecle oublioit les moineaux ; |
|
quatre serins en étoient morts de rage, |
|
et
deux matous, autrefois en faveur, |
|
dépérissoient d'envie et de langueur. |
Qui l'auroit dit ! Dans ces jours pleins de charmes, |
Qui l'auroit dit ! Dans ces jours pleins de charmes, |
qu'en pure perte on cultivoit ses mœurs, |
qu'en pure perte on cultivoit ses mœurs, |
qu'un tems viendroit
de crimes et
d'allarmes, |
qu'un tems viendroit,
tems de crime
et d'allarmes, |
où ce
Vairvert,
tendre idole des cœurs, |
où ce
Ver-Vert,
tendre idole des cœurs, |
ne seroit plus qu'un triste objet d'horreurs ! |
ne seroit plus qu'un triste objet d'horreurs ! |
Arrête, muse, et retarde les larmes |
Arrête, muse, et retarde les larmes |
que doit coûter l'aspect de ces malheurs, |
que doit coûter l'aspect de ces malheurs, |
fruit trop amer des égards de nos sœurs. |
fruit trop amer des égards de nos sœurs. |
Chant 2 |
|
On juge bien qu'étant à telle école |
On juge bien qu'étant à telle école |
point ne manquoit du don de la parole ; |
point ne manquoit du don de la parole ; |
l'oiseau disert, hormis dans les repas, |
l'oiseau disert, hormis dans les repas, |
tel qu'une none il ne déparloit pas : |
tel qu'une none il ne déparloit pas : |
bien est-il vrai qu'il parloit comme un livre, |
bien est-il vrai qu'il parloit comme un livre, |
toûjours d'un ton confit en sçavoir vivre. |
toûjours d'un ton confit en sçavoir vivre. |
Il n'étoit point de ces fiers perroquets |
Il n'étoit point de ces fiers perroquets |
que l'air du siecle a rendu trop coquets, |
que l'air du siecle a rendu trop coquets, |
et qui, siflés par des bouches mondaines, |
et qui, siflés par des bouches mondaines, |
n'ignorent rien des vanités humaines. |
n'ignorent rien des vanités humaines. |
Vairvert étoit
un perroquet dévot, |
Ver-Vert étoit
un perroquet dévot, |
une belle ame innocemment guidée, |
une belle ame innocemment guidée, |
jamais du mal il n'avoit eu l'idée, |
jamais du mal il n'avoit eu l'idée, |
ne
sçavoit-onc un
immodeste mot : |
ne
disoit onc un
immodeste mot : |
mais en revanche, il sçavoit des cantiques, |
mais en revanche, il sçavoit des cantiques, |
des oremus, des colloques mistiques, |
des oremus, des colloques mistiques, |
il disoit bien son benedicite , |
il disoit bien son benedicite , |
et notre mere, et votre charité . |
et notre mere, et votre charité . |
Il sçavoit même un peu de soliloque |
Il sçavoit même un peu de soliloque |
et des traits fins de Marie Alacoque. |
et des traits fins de Marie Alacoque. |
Il avoit eu dans ce docte manoir, |
Il avoit eu dans ce docte manoir, |
tous les secours qui menent au sçavoir : |
tous les secours qui menent au sçavoir : |
il étoit là
plusieurs
filles sçavantes, |
il étoit là,
maintes filles
sçavantes, |
qui, mot pour mot, portoient dans leurs cerveaux, |
qui, mot pour mot, portoient dans leurs cerveaux, |
tous les noëls anciens et nouveaux. |
tous les noëls anciens et nouveaux. |
Instruit, formé par leurs leçons fréquentes, |
Instruit, formé par leurs leçons fréquentes, |
bien-tôt l'eleve égala ses régentes ; |
bien-tôt l'eleve égala ses régentes ; |
de leur ton même, adroit imitateur, |
de leur ton même, adroit imitateur, |
il exprimoit la pieuse lenteur, |
il exprimoit la pieuse lenteur, |
les saints soupirs, les notes languissantes |
les saints soupirs, les notes languissantes |
du chant des sœurs, colombes gémissantes ; |
du chant des sœurs, colombes gémissantes ; |
finalement,
Vairvert
sçavoit, par cœur, |
finalement,
Ver-Vert
sçavoit, par cœur, |
tout ce que sçait une mere de chœur. |
tout ce que sçait une mere de chœur. |
Trop resserré dans les bornes d'un cloître, |
Trop resserré dans les bornes d'un cloître, |
un tel mérite au loin se fit connoître ; |
un tel mérite au loin se fit connoître ; |
dans tout Nevers, du matin jusqu'au soir, |
dans tout Nevers, du matin jusqu'au soir, |
il n'étoit bruit que des scenes mignones |
il n'étoit bruit que des scenes mignones |
du perroquet des bienheureuses nonnes ; |
du perroquet des bienheureuses nonnes ; |
de Moulins même on venoit pour le voir. |
de Moulins même on venoit pour le voir. |
Le beau
Vairvert ne
bougeoit du parloir. |
Le beau
Ver-Vert ne
bougeoit du parloir. |
Sœur Mélanie, en guimpe toûjours fine, |
Sœur Mélanie, en guimpe toûjours fine, |
portoit l'oiseau : d'abord, aux spectateurs, |
portoit l'oiseau : d'abord, aux spectateurs, |
elle en faisoit admirer les couleurs, |
elle en faisoit admirer les couleurs, |
les agrémens, la douceur enfantine ; |
les agrémens, la douceur enfantine ; |
son air heureux ne manquoit point les cœurs. |
son air heureux ne manquoit point les cœurs. |
Mais la beauté du tendre Néophite |
Mais la beauté du tendre Néophite |
n'étoit encor que le moindre mérite ; |
n'étoit encor que le moindre mérite ; |
on oublioit ses attraits enchanteurs, |
on oublioit ses attraits enchanteurs, |
dès que sa voix frappoit les auditeurs. |
dès que sa voix frappoit les auditeurs. |
Orné, rempli de saintes gentillesses |
Orné, rempli de saintes gentillesses |
que lui dictoient les plus jeunes professes, |
que lui dictoient les plus jeunes professes, |
l'illustre oiseau commençoit son récit ; |
l'illustre oiseau commençoit son récit ; |
toujours avec
de nouvelles finesses, |
à
chaque instant,
de nouvelles finesses, |
un
vrai talent, un gracieux
débit ; |
des
charmes neufs varioient son
débit ; |
Et se
montroit un progigue d’esprit: |
|
eloge unique et difficile à croire, |
eloge unique et difficile à croire, |
|
pour
tout parleur qui dit publiquement ; |
nul ne dormoit dans tout son auditoire ! |
nul ne dormoit dans tout son auditoire ! |
Quel orateur en pourroit dire autant ? |
Quel orateur en pourroit dire autant ? |
On l'écoutoit, on vantoit sa memoire ; |
On l'écoutoit, on vantoit sa memoire ; |
Son
gout, ses tours, son airs de sentiments: |
|
lui, cependant, stilé parfaitement, |
lui, cependant, stilé parfaitement, |
bien convaincu du néant de la gloire, |
bien convaincu du néant de la gloire, |
se rengorgeoit toûjours dévotement |
se rengorgeoit toûjours dévotement |
et triomphoit toûjours modestement. |
et triomphoit toûjours modestement. |
Quand il avoit débité sa science, |
Quand il avoit débité sa science, |
serrant le bec, et parlant en cadence, |
serrant le bec, et parlant en cadence, |
il s'inclinoit d'un air sanctifié |
il s'inclinoit d'un air sanctifié |
et laissoit là son monde édifié : |
et laissoit là son monde édifié : |
il n'avoit dit que des phrases gentilles, |
il n'avoit dit que des phrases gentilles, |
que des douceurs ; excepté quelques mots |
que des douceurs ; excepté quelques mots |
de médisance, et tels propos de filles |
de médisance, et tels propos de filles |
que, par hazard, il apprenoit aux grilles, |
que, par hazard, il apprenoit aux grilles, |
ou que nos sœurs traitoient dans leur enclos, |
ou que nos sœurs traitoient dans leur enclos, |
Ainsi vivoit, dans ce nid délectable, |
Ainsi vivoit, dans ce nid délectable, |
en maître, en saint, en sage véritable, |
en maître, en saint, en sage véritable, |
pere
Vairvert, cher
à plus d'une Hebé ; |
pere
Ver-vert, cher
à plus d'une Hebé ; |
gras comme un moine, et non moins vénérable, |
gras comme un moine, et non moins vénérable, |
beau comme un cœur, sçavant comme un abbé ; |
beau comme un cœur, sçavant comme un abbé ; |
toûjours aimé comme toûjours aimable, |
toûjours aimé comme toûjours aimable, |
civilisé, musqué, pincé, rangé, |
civilisé, musqué, pincé, rangé, |
heureux enfin, s'il n'eut pas voyagé. |
heureux enfin, s'il n'eut pas voyagé. |
Mais vint ce tems d'affligeante mémoire, |
Mais vint ce tems d'affligeante mémoire, |
ce tems critique où s'éclipse sa gloire. |
ce tems critique où s'éclipse sa gloire. |
ô crime ! ô honte ! ô cruel souvenir ! |
ô crime ! ô honte ! ô cruel souvenir ! |
Fatal voyage ! Aux yeux de l'avenir, |
Fatal voyage ! Aux yeux de l'avenir, |
que ne peut-on en dérober l'histoire ? |
que ne peut-on en dérober l'histoire ? |
Ah ! Qu'un grand nom est un bien dangereux ? |
Ah ! Qu'un grand nom est un bien dangereux ? |
Un sort caché fut toûjours plus heureux. |
Un sort caché fut toûjours plus heureux. |
Sur cet exemple, on peut ici m'en croire ; |
Sur cet exemple, on peut ici m'en croire ; |
trop de talens, trop de succès flatteurs |
trop de talens, trop de succès flatteurs |
traînent souvent la ruine des mœurs. |
traînent souvent la ruine des mœurs. |
Ton nom,
Vairvert, tes
proüesses brillantes |
Ton nom,
Ver-vert, tes
proüesses brillantes |
ne furent point bornés à ces climats ; |
ne furent point bornés à ces climats ; |
la renommée annonça tes appas, |
la renommée annonça tes appas, |
et vint porter ta gloire jusqu'à Nantes. |
et vint porter ta gloire jusqu'à Nantes. |
Là, comme on sçait, la visitation |
Là, comme on sçait, la visitation |
a son
troupeau de
révérendes meres, |
a son
bercail de
révérendes meres, |
qui, comme ailleurs, dans cette nation, |
qui, comme ailleurs, dans cette nation, |
à tout sçavoir ne sont pas les dernieres ; |
à tout sçavoir ne sont pas les dernieres ; |
par quoy, bien-tôt, apprenant des premieres |
par quoy, bien-tôt, apprenant des premieres |
ce qu' on disoit du perroquet vanté, |
ce qu' on disoit du perroquet vanté, |
desir leur vint d'en voir la vérité. |
desir leur vint d'en voir la vérité. |
Desir de fille est un feu qui dévore, |
Desir de fille est un feu qui dévore, |
desir de none est cent fois pis encore. |
desir de none est cent fois pis encore. |
Déja les cœurs s'envolent à Nevers, |
Déja les cœurs s'envolent à Nevers, |
voilà, d'abord, vingt têtes à l'envers |
voilà, d'abord, vingt têtes à l'envers |
pour un oiseau. L'on écrit tout à l'heure |
pour un oiseau. L'on écrit tout à l'heure |
en nivernois à la supérieure, |
en nivernois à la supérieure, |
pour la prier que l'oiseau plein d'attraits |
pour la prier que l'oiseau plein d'attraits |
soit, pour un tems, amené par la Loire ; |
soit, pour un tems, amené par la Loire ; |
et que, conduit aux rivages nantais, |
et que, conduit aux rivages nantais, |
lui-même il puisse y jouir de sa gloire, |
lui-même il puisse y jouir de sa gloire, |
et se prêter à de tendres souhaits. |
et se prêter à de tendres souhaits. |
La lettre part. Quand viendra la réponse ? |
La lettre part. Quand viendra la réponse ? |
Dans douze jours. Quel siécle jusques là ! |
Dans douze jours. Quel siécle jusques là ! |
Lettre sur lettre et nouvelle semonce : |
Lettre sur lettre et nouvelle semonce : |
on ne dort plus : sœur Cecile en mourra. |
on ne dort plus : sœur Cecile en mourra. |
Or, à Nevers, arrive enfin l'epitre. |
Or, à Nevers, arrive enfin l'epitre. |
Grave sujet : on tient le grand chapitre. |
Grave sujet : on tient le grand chapitre. |
Telle requête effarouche d' abord. |
Telle requête effarouche d' abord. |
Perdre
Vairvert ? ô
ciel ! Plûtôt la mort. |
Perdre
Ver-Vert ? ô
ciel ! Plûtôt la mort. |
Dans ces tombeaux, sous ces tours
désolées, |
Dans ces tombeaux, sous ces tours
isolées, |
que ferons-nous si ce cher oiseau sort ? |
que ferons-nous si ce cher oiseau sort ? |
Ainsi parloient les plus jeunes voilées |
Ainsi parloient les plus jeunes voilées |
dont le cœur vif, et las de son loisir |
dont le cœur vif, et las de son loisir |
s'ouvroit encore à l'innocent plaisir ; |
s'ouvroit encore à l'innocent plaisir ; |
|
et,
dans le vray, c'étoit la moindre chose |
|
que
cette troupe étroitement enclose |
|
à
qui, d'ailleurs, tout autre oiseau manquoit, |
|
eût
pour le moins un pauvre perroquet. |
L'avis, pourtant, des meres assistantes, |
L'avis, pourtant, des meres assistantes, |
de ce sénat antiques présidentes, |
de ce sénat antiques présidentes, |
dont le vieux cœur aimoit moins vivement, |
dont le vieux cœur aimoit moins vivement, |
fut d'envoyer
le
Perroquet
charmant |
fut d'envoyer
le
pupile
charmant |
pour quinze jours ; car, en têtes prudentes, |
pour quinze jours ; car, en têtes prudentes, |
elles craignoient qu'un refus obstiné |
elles craignoient qu'un refus obstiné |
ne les broüillât avec nos sœurs de Nantes ; |
ne les broüillât avec nos sœurs de Nantes ; |
ainsi jugea l'etat embeguiné. |
ainsi jugea l'etat embeguiné. |
Après ce
arrêt des miladis
de l'ordre, |
Après ce
Bill des miledis
de l'ordre, |
la
chambre-basse entre en fort
grand désordre : |
dans
la commune, arrive
grand désordre : |
quel sacrifice ! Y peut-on consentir ? |
quel sacrifice ! Y peut-on consentir ? |
Est-il donc vray ? (dit la sœur Seraphine) |
Est-il donc vray ? (dit la sœur Seraphine) |
quoy, nous vivons, et
Vairvert va
partir ! ... |
quoy, nous vivons, et
Ver-Vert va
partir ! ... |
d'une autre part, la mere sacristine |
d'une autre part, la mere sacristine |
trois fois pâlit, soûpire quatre fois, |
trois fois pâlit, soûpire quatre fois, |
pleure, frémit, se pâme, perd la voix : |
pleure, frémit, se pâme, perd la voix : |
tout est en deuil : je ne sçai quel présage, |
tout est en deuil : je ne sçai quel présage, |
d'un noir crayon,
on
trace ce
voyage. |
d'un noir crayon,
leur
trace ce
voyage. |
Pendant la nuit, des songes pleins d'horreur, |
Pendant la nuit, des songes pleins d'horreur, |
du jour encor redoublent la terreur. |
du jour encor redoublent la terreur. |
Trop vains regrets ! L'instant funeste arrive : |
Trop vains regrets ! L'instant funeste arrive : |
ja, tout est prêt sur la fatale rive ; |
ja, tout est prêt sur la fatale rive ; |
il faut enfin se résoudre aux adieux, |
il faut enfin se résoudre aux adieux, |
et commencer une absence cruelle ; |
et commencer une absence cruelle ; |
ja, chaque sœur gémit en tourterelle, |
ja, chaque sœur gémit en tourterelle, |
et plaint,
déja
un veuvage ennuyeux. |
et plaint,
d'avance un
veuvage ennuyeux. |
Que de baisers, au sortir de ces lieux, |
Que de baisers, au sortir de ces lieux, |
reçût
Vairvert !
Quelles tendres allarmes ! |
reçût
Ver-Vert !
Quelles tendres allarmes ! |
On se l'arrache, on le baigne de larmes : |
On se l'arrache, on le baigne de larmes : |
plus il est prêt de quitter ce séjour, |
plus il est prêt de quitter ce séjour, |
plus on lui trouve et d'esprit et de charmes ; |
plus on lui trouve et d'esprit et de charmes ; |
enfin, pourtant il a passé le tour : |
enfin, pourtant il a passé le tour : |
du monastere, avec lui, fuit l'amour. |
du monastere, avec lui, fuit l'amour. |
Pars, va, mon fils, vôle où l'honneur t'appelle ; |
Pars, va, mon fils, vôle où l'honneur t'appelle ; |
reviens charmant, reviens toûjours fidele ; |
reviens charmant, reviens toûjours fidele ; |
que les zéphirs te portent sur les flots : |
que les zéphirs te portent sur les flots : |
tandis qu'ici
poussant de vains sanglots, |
tandis qu'ici
dans
un triste repos |
je languirai forcément exilée, |
je languirai forcément exilée, |
triste,
inconnuë, et jamais consolée : |
sombre,
inconnuë, et jamais consolée : |
pars, cher
Vairvert ; et,
dans ton heureux cours, |
pars, cher
Ver-Vert ; et,
dans ton heureux cours, |
sois pris, par tout, pour l'aîné des amours. |
sois pris, par tout, pour l'aîné des amours. |
Tel fut l'adieu d'une nonain poupine, |
Tel fut l'adieu d'une nonain poupine, |
qui, pour distraire et charmer sa langueur, |
qui, pour distraire et charmer sa langueur, |
entre deux draps, avoit, à la sourdine, |
entre deux draps, avoit, à la sourdine, |
très-souvent fait l'oraison dans Racine, |
très-souvent fait l'oraison dans Racine, |
et qui, sans doute, auroit, de très-grand cœur, |
et qui, sans doute, auroit, de très-grand cœur, |
loin du couvent, suivi l'oiseau parleur. |
loin du couvent, suivi l'oiseau parleur. |
Mais c'en est fait, on embarque le drôle ; |
Mais c'en est fait, on embarque le drôle ; |
jusqu'à présent, vertueux, ingenu, |
jusqu'à présent, vertueux, ingenu, |
jusqu'à présent, modeste en sa parole : |
jusqu'à présent, modeste en sa parole : |
puisse son cœur constamment défendu, |
puisse son cœur constamment défendu, |
au cloître, un jour, rapporter sa vertu ! |
au cloître, un jour, rapporter sa vertu ! |
Quoiqu' il en soit, déja la rame vole, |
Quoiqu' il en soit, déja la rame vole, |
du bruit des eaux les airs ont retenti, |
du bruit des eaux les airs ont retenti, |
un bon vent souffle, on part, on est parti. |
un bon vent souffle, on part, on est parti. |
Chant 3 |
|
La même nef legere et vagabonde, |
La même nef legere et vagabonde, |
qui voituroit le saint oiseau sur l'onde, |
qui voituroit le saint oiseau sur l'onde, |
portoit aussi, deux nymphes, trois dragons, |
portoit aussi, deux nymphes, trois dragons, |
une nourice,
un
frappart, deux
gascons : |
une nourice,
un
moine, deux
gascons : |
pour un enfant qui sort du monastere, |
pour un enfant qui sort du monastere, |
c'étoit écheoir en dignes compagnons ! |
c'étoit écheoir en dignes compagnons ! |
Aussi,
Vairvert
ignorant leurs façons, |
Aussi,
Ver-Vert
ignorant leurs façons, |
se trouva là, comme en terre étrangere ; |
se trouva là, comme en terre étrangere ; |
nouvelle langue et nouvelles leçons. |
nouvelle langue et nouvelles leçons. |
L'oiseau surpris n'entendoit point leur stile ; |
L'oiseau surpris n'entendoit point leur stile ; |
ce n'étoit plus paroles d’Evangile, |
ce n'étoit plus paroles d'evangile ; |
ni
lieux communs du Pré Spirituel, |
|
Château de l’Ame, ou chants du Rituel, |
|
|
ce
n'étoit plus ces pieux entretiens |
ni
traits de
bible et d'oraisons mentales
|
ces
traits de
bible et d'oraisons mentales
|
tels
qu'il
entendoit chez nos douces vestales :
|
qu'il entendoit chez nos douces vestales : |
mais, de gros mots, et non des plus chrétiens ; |
mais, de gros mots, et non des plus chrétiens ; |
car, les dragons, race assez peu dévote, |
car, les dragons, race assez peu dévote, |
ne parloient là que langue de gargotte ; |
ne parloient là que langue de gargotte ; |
trinquant sans cesse à tire-la-rigot , |
charmant au mieux les ennuis du chemin |
ils
n’etonnoient que des Hymnes d’Argot; |
ils
ne fêtoient que le patron du vin ; |
puis les gascons et les trois peronelles |
puis les gascons et les trois peronelles |
y concertoient sur des tons de ruelles : |
y concertoient sur des tons de ruelles : |
de leur côté, les bateliers juroient, |
de leur côté, les bateliers juroient, |
rimoient en Dieu, blasphémoient et sacroient. |
rimoient en Dieu, blasphémoient et sacroient. |
Leur voix stilée aux tons mâles et fermes, |
Leur voix stilée aux tons mâles et fermes, |
articuloit sans rien perdre des termes. |
articuloit sans rien perdre des termes. |
Dans
ce
fracas, confus, embarrassé, |
Dans
le
fracas, confus, embarrassé, |
Vairvert
gardoit un silence forcé ; |
Ver-Vert
gardoit un silence forcé ; |
triste
et
muet, il
n'osoit se produire, |
triste,
timide, il
n'osoit se produire, |
et ne sçavoit que penser ni que dire. |
et ne sçavoit que penser ni que dire. |
Pendant la route, on voulut, par faveur, |
Pendant la route, on voulut, par faveur, |
faire
jaser
le perroquet rêveur ; |
faire
causer le
perroquet rêveur ; |
frere Lubin, d'un ton peu monastique, |
frere Lubin, d'un ton peu monastique, |
interrogeant le beau mélancolique, |
interrogeant le beau mélancolique, |
l'oiseau benin prend son air de douceur ; |
l'oiseau benin prend son air de douceur ; |
et, vous poussant un soupir méthodique, |
et, vous poussant un soupir méthodique, |
d'un ton pedant, répond, ave, ma sœur . |
d'un ton pedant, répond, ave, ma sœur . |
à cet ave, jugez si l'on dut rire : |
à cet ave, jugez si l'on dut rire : |
tous en chorus bernent le pauvre sire ; |
tous en chorus bernent le pauvre sire ; |
ainsi berné, le novice interdit, |
ainsi berné, le novice interdit, |
comprit en soi qu'il n'avoit pas bien dit, |
comprit en soi qu'il n'avoit pas bien dit, |
et qu'il seroit mal mené des comeres, |
et qu'il seroit mal mené des comeres, |
s'il ne parloit la langue des confreres : |
s'il ne parloit la langue des confreres : |
son cœur né fier, et qui, jusqu'à ce tems, |
son cœur né fier, et qui, jusqu'à ce tems, |
avoit été nourri d'un doux encens, |
avoit été nourri d'un doux encens, |
ne put garder sa modeste constance |
ne put garder sa modeste constance |
dans cet assaut de mépris fletrissans : |
dans cet assaut de mépris fletrissans : |
à cet instant, en perdant patience, |
à cet instant, en perdant patience, |
Vairvert
perdit sa premiere innocence : |
Ver-Vert
perdit sa premiere innocence : |
dès lors, ingrat, en soi-même il maudit |
dès lors, ingrat, en soi-même il maudit |
les cheres sœurs ses premieres maîtresses |
les cheres sœurs ses premieres maîtresses |
qui n'avoient point sçû mettre en son esprit, |
qui n'avoient point sçû mettre en son esprit, |
du beau françois les brillantes finesses, |
du beau françois les brillantes finesses, |
les sons nerveux et les délicatesses. |
les sons nerveux et les délicatesses. |
à les apprendre il met donc tous ses soins, |
à les apprendre il met donc tous ses soins, |
parlant très-peu ; mais n'en pensant pas moins. |
parlant très-peu ; mais n'en pensant pas moins. |
D'abord, l'oiseau, comme il n'étoit pas bête, |
D'abord, l'oiseau, comme il n'étoit pas bête, |
pour faire place à de nouveaux discours, |
pour faire place à de nouveaux discours, |
vit qu'il devoit oublier, pour toujours, |
vit qu'il devoit oublier, pour toujours, |
tous les gaudés qui farcissoient sa tête, |
tous les gaudés qui farcissoient sa tête, |
ils furent tous oubliés en deux jours, |
ils furent tous oubliés en deux jours, |
tant il trouva la langue à la dragone |
tant il trouva la langue à la dragone |
plus du bel air que les termes de none. |
plus du bel air que les termes de none. |
En moins de rien, l'éloquent animal, |
En moins de rien, l'éloquent animal, |
hélas ! Jeunesse apprend trop bien le mal ! |
hélas ! Jeunesse apprend trop bien le mal ! |
L'animal, dis-je, éloquent et docile, |
L'animal, dis-je, éloquent et docile, |
en moins de rien, fut rudement habile. |
en moins de rien, fut rudement habile. |
Bien vîte il sçut
maugréer, renier, |
Bien vîte il sçut
jurer
et maugréer, |
mieux qu'un vieux diable, au fond d'un benitier : |
mieux qu'un vieux diable, au fond d'un benitier : |
il démentit les célébres maximes |
il démentit les célébres maximes |
où nous lisons, qu'on ne vient aux grands crimes |
où nous lisons, qu'on ne vient aux grands crimes |
que par dégrés. Il fut un scélerat |
que par dégrés. Il fut un scélerat |
profès d'abord et sans noviciat. |
profès d'abord et sans noviciat. |
Trop bien sçut-il
aux
depens de sa gloire, |
Trop bien sçut-il
graver en sa mémoire, |
tout l'alphabet des bateliers de Loire ; |
tout l'alphabet des bateliers de Loire ; |
dès qu'un d'iceux, dans quelque vertigo, |
dès qu'un d'iceux, dans quelque vertigo, |
lâchoit un mor ...
Vairvert
faisoit l'écho. |
lâchoit un mor ...
Ver-Vert
faisoit l'écho. |
Lors, applaudi par la bande susdite, |
Lors, applaudi par la bande susdite, |
fier et content de son petit mérite, |
fier et content de son petit mérite, |
il n'aima plus que le honteux honneur |
il n'aima plus que le honteux honneur |
de sçavoir plaire au monde suborneur ; |
de sçavoir plaire au monde suborneur ; |
et dégradant son généreux organe, |
et dégradant son généreux organe, |
il ne fut plus qu'un orateur profane. |
il ne fut plus qu'un orateur profane. |
Faut-il, qu'ainsi, l'exemple séducteur, |
Faut-il, qu'ainsi, l'exemple séducteur, |
du ciel au diable emporte un jeune cœur ! |
du ciel au diable emporte un jeune cœur ! |
Pendant ces jours, durant ces tristes scénes, |
Pendant ces jours, durant ces tristes scénes, |
que faisiez-vous dans vos cloîtres déserts, |
que faisiez-vous dans vos cloîtres déserts, |
chastes Iris du couvent de Nevers ? |
chastes Iris du couvent de Nevers ? |
Sans doute, hélas ! Vous faisiez des neuvaines |
Sans doute, hélas ! Vous faisiez des neuvaines |
pour le retour du plus grand des ingrats, |
pour le retour du plus grand des ingrats, |
pour un volage indigne de vos peines, |
pour un volage indigne de vos peines, |
et qui, soumis à de nouvelles chaînes, |
et qui, soumis à de nouvelles chaînes, |
de
nos
amours ne faisoit plus de cas. |
de
vos
amours ne faisoit plus de cas. |
Sans doute, alors, l'accès du monastere |
Sans doute, alors, l'accès du monastere |
etoit d'ennuis tristement obsedé ; |
etoit d'ennuis tristement obsedé ; |
la grille étoit
muette et solitaire, |
la grille étoit
dans
un deuil solitaire, |
et le silence étoit presque gardé. |
et le silence étoit presque gardé. |
Cessez vos vœux,
Vairvert n'en
est plus digne ; |
Cessez vos vœux,
Ver-Vert n'en
est plus digne ; |
Vairvert n'est
plus cet oiseau réverend, |
Ver-Vert n'est
plus cet oiseau réverend, |
ce perroquet d'une humeur si benigne, |
ce perroquet d'une humeur si benigne, |
ce cœur, cet esprit si fervent ; |
ce cœur
si
pur, cet
esprit si fervent ; |
vous le dirai-je ? Il n'est plus qu'un brigand, |
vous le dirai-je ? Il n'est plus qu'un brigand, |
lâche apostat, blasphémateur insigne ; |
lâche apostat, blasphémateur insigne ; |
les vents légers, et les nymphes des eaux |
les vents légers, et les nymphes des eaux |
ont moissonné le fruit de vos travaux. |
ont moissonné le fruit de vos travaux. |
Ne vantez point sa science infinie : |
Ne vantez point sa science infinie : |
sans la vertu, que vaut un grand génie ? |
sans la vertu, que vaut un grand génie ? |
N'y pensez plus,
l'ingrat a
sans pudeur, |
N'y pensez plus,
l'infame a,
sans pudeur, |
prostitué ses talens et son cœur. |
prostitué ses talens et son cœur. |
Déjà, pourtant, on approche de Nantes, |
Déjà, pourtant, on approche de Nantes, |
où languissoient nos sœurs impatientes ; |
où languissoient nos sœurs impatientes ; |
pour leurs désirs,
trop tard Phébus
naissoit |
pour leurs désirs
le
jour trop tard naissoit, |
des cieux trop tard
Phébus
disparoissoit. |
des cieux, trop tard,
le
jour
disparoissoit. |
Dans ces ennuis, l'espérance flateuse, |
Dans ces ennuis, l'espérance flateuse, |
à nous tromper toujours ingénieuse, |
à nous tromper toujours ingénieuse, |
leur promettoit un esprit cultivé, |
leur promettoit un esprit cultivé, |
un perroquet noblement élevé, |
un perroquet noblement élevé, |
une voix tendre, honnête, édifiante, |
une voix tendre, honnête, édifiante, |
des sentimens, un mérite achevé : |
des sentimens, un mérite achevé : |
mais, ô douleur ! ô vaine et fausse attente ! |
mais, ô douleur ! ô vaine et fausse attente ! |
La nef arrive, et l'équipage en sort. |
La nef arrive, et l'équipage en sort. |
Une tourriére étoit assise au port |
Une tourriére étoit assise au port |
dès le départ de la premiere lettre : |
dès le départ de la premiere lettre : |
là, chaque jour, elle venoit se mettre ; |
là, chaque jour, elle venoit se mettre ; |
ses yeux errans sur le lointain des flots, |
ses yeux errans sur le lointain des flots, |
sembloient hâter le vaisseau du héros. |
sembloient hâter le vaisseau du héros. |
En débarquant auprès de la béguine, |
En débarquant auprès de la béguine, |
l'oiseau madré la connut à la mine, |
l'oiseau madré la connut à la mine, |
à son œil prude ouvert en tapinois, |
à son œil prude ouvert en tapinois, |
à sa grand' coëffe, à sa fine étamine, |
à sa grand' coëffe, à sa fine étamine, |
à ses gants blancs, à sa
doucette voix, |
à ses gants blancs, à sa
mourante voix, |
et, mieux encore, à sa petite croix : |
et, mieux encore, à sa petite croix : |
il en frémit, et même il est croyable, |
il en frémit, et même il est croyable, |
que
dans son ame
il la donnoit au diable ; |
qu'en
militaire, il
la donnoit au diable ; |
trop mieux aimant suivre quelque dragon, |
trop mieux aimant suivre quelque dragon, |
dont il sçavoit le bachique jargon, |
dont il sçavoit le bachique jargon, |
qu'aller apprendre encor les litanies, |
qu'aller apprendre encor les litanies, |
la revérence, et les cérémonies : |
la revérence, et les cérémonies : |
mais force fut au grivois dépité |
mais force fut au grivois dépité |
d'être conduit au gîte détesté. |
d'être conduit au gîte détesté. |
Malgré ses cris, la touriére l'emporte : |
Malgré ses cris, la touriére l'emporte : |
il la mordoit, dit-on, de bonne sorte, |
il la mordoit, dit-on, de bonne sorte, |
chemin faisant ; les uns disent au cou, |
chemin faisant ; les uns disent au cou, |
d'autres au bras, on ne sçait pas bien où : |
d'autres au bras, on ne sçait pas bien où : |
d'ailleurs,
n'
importe ;
à la fin, non sans peine, |
d'ailleurs,
qu'importe ?
à la fin, non sans peine, |
dans le couvent la béate l'améne ; |
dans le couvent la béate l'emmeine ; |
elle l'annonce
avec grande
rumeur |
elle l'annonce.
Avec grande
rumeur |
le bruit en court. Aux premiéres nouvelles, |
le bruit en court. Aux premiéres nouvelles, |
la cloche sonne. On étoit lors au chœur ; |
la cloche sonne. On étoit lors au chœur ; |
on quitte tout, on court, on a des aîles : |
on quitte tout, on court, on a des aîles : |
c'est lui, ma sœur, il est au grand parloir. |
c'est lui, ma sœur, il est au grand parloir. |
On vole en foule, on grille de le voir ; |
On vole en foule, on grille de le voir ; |
les vieilles même, au marcher simêtrique, |
les vieilles même, au marcher simêtrique, |
des ans tardifs ont oublié le poids : |
des ans tardifs ont oublié le poids : |
tout rajeunit ; et la mere Angélique |
tout rajeunit ; et la mere Angélique |
courut alors pour la premiére fois. |
courut alors pour la premiére fois. |
Chant 4 |
|
On voit enfin, on ne peut se repaître |
On voit enfin, on ne peut se repaître |
assez les yeux des beautés de l'oiseau: |
assez les yeux des beautés de l'oiseau : |
c'étoit raison; car le fripon, pour être |
c'étoit raison ; car le fripon, pour être |
moins bon garçon, n'en étoit pas moins beau. |
moins bon garçon, n'en étoit pas moins beau. |
Cet œil guerrier, et cet air petit-maître |
Cet œil guerrier, et cet air petit-maître |
lui prétoient même un agrément nouveau. |
lui prétoient même un agrément nouveau. |
Faut-il, grand dieu! Que sur le front d'un traître, |
Faut-il, grand dieu! Que sur le front d'un traître, |
brillent ainsi les plus tendres attraits! |
brillent ainsi les plus tendres attraits! |
Que ne peut-on distinguer et connoître |
Que ne peut-on distinguer et connoître |
les cœurs pervers à de difformes traits? |
les cœurs pervers à de difformes traits? |
Pour admirer les charmes qu'il rassemble, |
Pour admirer les charmes qu'il rassemble, |
toutes les sœurs parlent toutes ensemble; |
toutes les sœurs parlent toutes ensemble; |
en entendant cet essain bourdonner, |
en entendant cet essain bourdonner, |
on eût, à peine, entendu Dieu tonner: |
on eût, à peine, entendu Dieu tonner: |
lui, cependant, parmi tout ce vacarme, |
lui, cependant, parmi tout ce vacarme, |
sans daigner dire un mot de pieté, |
sans daigner dire un mot de pieté, |
rouloit les yeux d'un air de jeune carme. |
rouloit les yeux d'un air de jeune carme. |
Premier grief. Cet air trop effronté |
Premier grief. Cet air trop effronté |
fut un scandale à la communauté. |
fut un scandale à la communauté. |
En second lieu, quand la mere prieure, |
En second lieu, quand la mere prieure, |
d'un air auguste, en fille intérieure, |
d'un air auguste, en fille intérieure, |
voulut parler à l'oiseau libertin: |
voulut parler à l'oiseau libertin: |
pour premiers mots, et pour toute réponse, |
pour premiers mots, et pour toute réponse, |
|
nonchalament, et d'un air de dédain, |
sans bien
penser aux
horreurs qu'il prononce, |
sans bien
songer aux
horreurs qu'il prononce, |
mon gars répond, avec un
ton
sec et chagrin |
mon gars répond, avec un
ton
faquin : |
par la corbleu! Que les nonnes sont folles! |
par la corbleu! Que les nonnes sont folles! |
L'histoire dit, qu'il avoit, en chemin, |
L'histoire dit, qu'il avoit, en chemin, |
d'un de la troupe entendu ces paroles. |
d'un de la troupe entendu ces paroles. |
à ce début, la sœur saint Augustin, |
à ce début, la sœur saint Augustin, |
d'un air sucré, voulant le faire taire, |
d'un air sucré, voulant le faire taire, |
et lui disant : fi donc ! Mon très-cher frere. |
et lui disant : fi donc ! Mon très-cher frere. |
Le très-cher frere indocile et mutin, |
Le très-cher frere indocile et mutin, |
vous la rima très-richement en tain. |
vous la rima très-richement en tain. |
Ciel !
qu’en
sçait ? il est
sorcier, ma mere, |
Vive
Jesus ! Il est
sorcier, ma mere, |
reprend la sœur ; juste dieu ! Quel coquin ! |
reprend la sœur ; juste dieu ! Quel coquin ! |
Quoi ! C'est donc là ce perroquet divin ? |
Quoi ! C'est donc là ce perroquet divin ? |
Ici
Vairvert, en
vrai gibier de greve, |
Ici
Ver-Vert, en
vrai gibier de greve, |
l'apostropha d'un la peste te creve . |
l'apostropha d'un la peste te creve . |
Chacune vint pour brider le caquet |
Chacune vint pour brider le caquet |
du grenadier, chacune eut son paquet ; |
du grenadier, chacune eut son paquet ; |
turlupinant les jeunes précieuses, |
turlupinant les jeunes précieuses, |
il imitoit leur couroux babillard ; |
il imitoit leur couroux babillard ; |
plus déchaîné sur les vieilles grondeuses, |
plus déchaîné sur les vieilles grondeuses, |
il bafoüoit leur sermon nazillard : |
il bafoüoit leur sermon nazillard : |
ce fut bien pis, quand, d'un ton de corsaire, |
ce fut bien pis, quand, d'un ton de corsaire, |
|
las,
excédé de leurs fades propos, |
bouffi de rage, écumant de colere, |
bouffi de rage, écumant de colere, |
il entonna tous les horribles mots |
il entonna tous les horribles mots |
qu'il avoit sçû rapporter des bateaux ; |
qu'il avoit sçû rapporter des bateaux ; |
jurant, sacrant d' une voix dissoluë, |
jurant, sacrant d' une voix dissoluë, |
faisant passer tout l'enfer en revûë, |
faisant passer tout l'enfer en revûë, |
les b. les f. voltigeoient sur son bec. |
les b. les f. voltigeoient sur son bec. |
Les jeunes sœurs crurent qu'il parloit grec. |
Les jeunes sœurs crurent qu'il parloit grec. |
Mor..
! Ventre... Sac..
Mille pipes de
diables ! |
jour
de dieu ! ... mor !
... mille pipes de
diables ! |
Toute la grille, à ces mots effroyables, |
Toute la grille, à ces mots effroyables, |
tremble d'horreur ; les nonettes sans voix |
tremble d'horreur ; les nonettes sans voix |
font, en fuyant, mille signes de croix, |
font, en fuyant, mille signes de croix, |
et
pensent voir le Grand Diable en personne |
toutes, pensant être à la fin du monde, |
|
courent en poste, aux caves du couvent ; |
|
et,
sur son nez, la mere Cunegonde |
|
se
laissant cheoir, perd sa derniere dent. |
|
Ouvrant à peine un sépulcral organe, |
Pere éternel ! Dit la
mere
Simome, |
pere éternel ! Dit la
sœur
Bibiane, |
miséricorde ! Ah ! Qui nous a donné |
miséricorde ! Ah ! Qui nous a donné |
cet antechrist, ce démon incarné ? |
cet antechrist, ce démon incarné ? |
Mon doux sauveur ! En quelle conscience |
Mon doux sauveur ! En quelle conscience |
peut-il ainsi jurer comme un damné ? |
peut-il ainsi jurer comme un damné ? |
Est-ce donc là l'esprit et la science |
Est-ce donc là l'esprit et la science |
de ce
Vaivert si
chéri, si prôné ? |
de ce
Ver-Vert si
chéri, si prôné ? |
Sans
plus tarder qu’on le remetre en route. |
Qu'il
soit banni, qu'il soit remis en route |
Vive
Jesus ! repond la
sœur
Ecoute, |
ô
dieu d'amour ! Reprend la sœur ecoute, |
quelles horreurs ! Chez nos sœurs de Nevers, |
quelles horreurs ! Chez nos sœurs de Nevers, |
quoi ! Parle-t-on ce langage pervers ? |
quoi ! Parle-t-on ce langage pervers ? |
Quoi ! C'est ainsi qu'on forme la jeunesse ? |
Quoi ! C'est ainsi qu'on forme la jeunesse ? |
Quel hérétique ! ô divine sagesse ! |
Quel hérétique ! ô divine sagesse ! |
Qu'il n' entre point ; avec ce Lucifer, |
Qu'il n' entre point ; avec ce Lucifer, |
en garnison, nous aurions tout l'enfer. |
en garnison, nous aurions tout l'enfer. |
Conclusion. Ver-Vert est mis en cage ; |
Conclusion. Ver-Vert est mis en cage ; |
on se résout, sans tarder davantage, |
on se résout, sans tarder davantage, |
à renvoyer le parleur scandaleux. |
à renvoyer le parleur scandaleux. |
Le pelerin ne demandoit pas mieux : |
Le pelerin ne demandoit pas mieux : |
il est proscrit, déclaré détestable, |
il est proscrit, déclaré détestable, |
Traite, imposteur,
atteint et convaincu |
abominable,
atteint et convaincu |
d'avoir tenté d'entamer la vertu |
d'avoir tenté d'entamer la vertu |
des saintes sœurs : toutes de l'execrable |
des saintes sœurs : toutes de l'execrable |
signent l'arrêt en pleurant le coupable ; |
signent l'arrêt en pleurant le coupable ; |
car quel malheur qu'il fût si dépravé, |
car quel malheur qu'il fût si dépravé, |
n'étant encor qu'à la fleur de son âge ! |
n'étant encor qu'à la fleur de son âge ! |
Et qu'il portât, sous un si beau plumage, |
Et qu'il portât, sous un si beau plumage, |
la fiére humeur d'un escroc achevé, |
la fiére humeur d'un escroc achevé, |
l'air d'un payen, le cœur d'un réprouvé. |
l'air d'un payen, le cœur d'un réprouvé. |
Il part enfin porté par la tourriére, |
Il part enfin porté par la tourriére, |
mais sans la mordre, en retournant au port ; |
mais sans la mordre, en retournant au port ; |
une cabane emporte le compere, |
une cabane emporte le compere, |
et, sans regret, il fuit ce triste bord. |
et, sans regret, il fuit ce triste bord. |
De ses malheurs telle fut l'iliade. |
De ses malheurs telle fut l'iliade. |
Quel désespoir ! Lorsqu'enfin, de retour, |
Quel désespoir ! Lorsqu'enfin, de retour, |
il vint donner pareille sérénade, |
il vint donner pareille sérénade, |
pareil scandale en son premier séjour ! |
pareil scandale en son premier séjour ! |
Il
faut tout dire, il devint enfin sage, |
Que
résoudront nos sœurs inconsolables ? |
On le
devient quand on se sent sur l’ âge |
Les
yeux en pleurs, les sens d'horreur troublés, |
Aussi
Vairvert, se sentant déja vieux, |
en
manteaux longs, en voiles redoublés, |
Se
reconnut, sit pénitence austére, |
au
discrétoire, entrent neuf vénérables ; |
Garda
souvent un silence sévere |
figurez-vous neuf siécles assemblés. |
Avant
d’ aller rejoindre ses Ayeux: |
Là,
sans espoir d'aucun heureux suffrage, |
Des
Batteliers oubliant l’Idiome |
privé
des sœurs qui plaideroient pour lui, |
Il
rapelle ses premieres leçons, |
en
plein parquet, enchaîné dans sa cage, |
Il
dépouilla tout à fait le vieil homme, |
Ver-Vert paroît sans gloire et sans appui. |
Il
oublia le Moine et les Dragons, |
On
est aux voix ; déjà deux des sibilles, |
Et
vers le Bien ramenant ses pensées, |
en
billets noirs ont crayonné sa mort ; |
Rectifiant ses erreurs insensées, |
deux
autres sœurs, un peu moins imbécilles, |
Par
le grand bruit de sa conversion; |
veulent, qu'en proye à son malheureux sort, |
Il
sçut rentrer dans ses splendeurs passées, |
on le
renvoye au rivage profane |
Et
recouvrer sa réputation. |
qui
le vit naître avec le noir Bracmane : |
Deux
ans apres, la Visitation |
mais,
de concert, les cinq derniéres voix, |
Un
jour auquel se saisoient deux vêtures |
du
châtiment déterminent le choix. |
Le
vit mourir d’une îndigestion |
On le
condamne à deux mois d'abstinence, |
Qu’
on lui causa par trop de confitures; |
trois
de retraite, et quatre de silence ; |
Au
Réfectoire expira le Docteur, |
jardins, toilette, alcoves et biscuits, |
Ainsi
Vairvert mourut au lit d’honneur; |
pendant ce tems, lui seront interdits : |
|
ce
n'est point tout, pour comble de misere, |
|
on
lui choisit pour garde, pour geoliére, |
|
pour
entretien, l'Alecton du couvent, |
|
une
converse, infante doüairiere, |
|
singe
voilé, squelette octogenaire, |
|
spectacle fait pour l'œil d'un pénitent. |
|
Malgré les soins de l'Argus inflexible, |
|
dans
leurs loisirs, souvent d'aimables sœurs, |
|
venant le plaindre avec un air sensible, |
|
de
son exil suspendoient les rigueurs. |
|
Sœur
Rosalie, au retour de matines, |
|
plus
d'une fois lui porta des pralines : |
|
mais,
dans les fers, loin d'un libre destin, |
|
tous
les bonbons ne sont que chicotin. |
|
Couvert de honte, instruit par l'infortune, |
|
ou,
las de voir sa compagne importune, |
|
l'oiseau contrit se reconnut enfin : |
|
il
oublia les dragons et le moine ; |
|
et
pleinement remis à l'unisson |
|
avec
nos sœurs, pour l'air et pour le ton, |
|
il
redevint plus dévot qu'un chanoine. |
|
Quand
on fut sûr de sa conversion, |
|
le
vieux divan désarmant sa vengeance, |
|
de
l'exilé borna la pénitence. |
|
De
son rapel, sans doute, l'heureux jour |
|
va,
pour ces lieux, être un jour d'allegresse ; |
|
tous
ses instans donnés à la tendresse, |
|
seront filés par la main de l'amour. |
|
Que
dis-je ? Hélas ! ô plaisirs infideles ! |
|
ô
vains attraits des délices mortelles ! |
|
Tous
les dortoirs étoient jonchés de fleurs, |
|
caffé
parfait, chansons, course legere, |
|
tumulte aimable, et liberté pléniére ; |
|
tout
exprimoit de charmantes ardeurs, |
|
rien
n'annonçoit de prochaines douleurs. |
|
Mais
de nos sœurs, ô largesse indiscrete ! |
|
Du
sein des maux d'une longue diette, |
|
passant trop-tôt dans des flots de douceurs, |
|
bourré de sucre, et brûlé de liqueurs, |
|
Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées, |
|
en
noirs cyprès vit ses roses changées. |
|
En
vain, les sœurs tâchoient de retenir |
|
son
ame errante et son dernier soupir ; |
|
ce
doux excès hâtant sa destinée, |
|
du
tendre amour victime fortunée, |
|
il
expira dans le sein du plaisir. |
On admiroit ses paroles dernieres. |
On admiroit ses paroles dernieres. |
Lorsqu’ Atropos,
lui fermant les paupieres, |
Venus,
enfin, lui
fermant les paupieres, |
dans l'elisée, et les sacrés bosquets, |
dans l'elisée, et les sacrés bosquets, |
le méne, au rang des héros perroquets, |
le méne, au rang des héros perroquets, |
près de celui dont l'amant de Corinne |
près de celui dont l'amant de Corinne |
a pleuré l'ombre, et chanté la doctrine. |
a pleuré l'ombre, et chanté la doctrine. |
Dieu
tout seul sçait combien
l'illustre mort |
Qui
peut narrer combien
l'illustre mort |
|
fut
regretté ! La sœur dépositaire |
|
en
composa la lettre circulaire, |
Obtint de pleurs en terminant
son sort. |
d'où
j'ai tiré l'histoire
de son sort. |
Pour le garder à la race future, |
Pour le garder à la race future, |
son portrait fut tiré d'après nature : |
son portrait fut tiré d'après nature : |
plus d'une main conduite par l'amour, |
plus d'une main conduite par l'amour, |
sçut lui donner une seconde vie |
sçut lui donner une seconde vie |
par les couleurs et par la broderie ; |
par les couleurs et par la broderie ; |
et la douleur, travaillant à son tour, |
et la douleur, travaillant à son tour, |
peignit, broda des larmes à l'entour. |
peignit, broda des larmes à l'entour. |
On lui rendit tous les honneurs funebres, |
On lui rendit tous les honneurs funebres, |
que l'Hélicon rend aux oiseaux célebres. |
que l'Hélicon rend aux oiseaux célebres. |
Au piéd d'un myrthe on plaça le tombeau, |
Au piéd d'un myrthe on plaça le tombeau, |
qui couvre encor le Mausole nouveau ; |
qui couvre encor le Mausole nouveau ; |
là, par la main des tendres Arthémises, |
là, par la main des tendres Arthémises, |
en lettres d'or, ces rimes furent mises |
en lettres d'or, ces rimes furent mises |
sur un porphire environné de fleurs : |
sur un porphire environné de fleurs : |
en les lisant on sent naître ses pleurs. |
en les lisant on sent naître ses pleurs. |
novices, qui venez
jazer
dans ces bocages |
novices, qui venez
causer dans
ces bocages |
à l'insçû de nos graves sœurs, |
à l'insçû de nos graves sœurs, |
un instant, s'il se peut, suspendez vos ramages ; |
un instant, s'il se peut, suspendez vos ramages ; |
apprenez nos malheurs. |
apprenez nos malheurs. |
vous vous taisez : si c'est trop vous contraindre, |
vous vous taisez : si c'est trop vous contraindre, |
parlez ; mais parlez pour nous plaindre. |
parlez ; mais parlez pour nous plaindre. |
un mot vous instruira de nos tendres douleurs. |
un mot vous instruira de nos tendres douleurs. |
cy gist Vairvert, cy gissent tous les cœurs. |
cy gist Vairvert, cy gissent tous les cœurs. |
on dit pourtant (pour terminer ma glose |
on dit pourtant (pour terminer ma glose |
en peu de mots) que l'ombre de l'oiseau |
en peu de mots) que l'ombre de l'oiseau |
ne loge plus dans le susdit tombeau ; |
ne loge plus dans le susdit tombeau ; |
que son esprit dans les nones repose, |
que son esprit dans les nones repose, |
et, qu'en tout tems, par la métempsicose, |
et, qu'en tout tems, par la métempsicose, |
de sœurs en sœurs, l'immortel perroquet |
de sœurs en sœurs, l'immortel perroquet |
transportera son ame et son caquet. |
transportera son ame et son caquet. |