ÉPITRE
A MANON
J’y
songe malgré mes douleurs
A
ces belles heures passées
Où
vous me rapportiez des fleurs
Qu'on
volait aux Champs-Elysées.
Saurais-tu
me dire à présent
Ainsi
qu'autrefois: " Tiens, regarde,
Voler
des fleurs, c'est amusant,
Mais
comme j'avais peur du garde! »
Bénassit
pourrait-il encor
Te
dessiner les mains petites,
Toute
blanche, avec un coeur d'or,
Et
pareille à tes marguerites.
Vous
aviez un grand perroquet
Grâce
à qui, toutes les semaines,
Notre
budget se compliquait
De
l'achat d'un kilo de graines.
C'était
un païen forcené,
Talon
rouge, mais fort en gueule,
Que
ta mère t'avait donné
Et
qu'elle tenait d'une aïeule;
Un
perroquet bruyant, charmant,
Un
vieux perroquet qui, sans être
Grave
extraordinairement,
Avait
le calme d'un ancêtre.
Cet
oiseau peint sur un blason
Aurait
fort bien, armes parlantes,
Symbolisé
de ta maison
Les
cent traditions galantes.
Tu
le caressais, plissant l'oeil,
Lui
chantait: — « Ça me ravigote! »
Puis,
se gonflant avec orgueil,
Il
disait : — « Merci, ma cocotte! »
Toujours
en plein rêve, obsédé
Par
un antique répertoire,
Il
mêlait Garât et Vadé,
La
Régence et le Directoire.
Sa
voix semblait comme un écho
De
l'époque exquise et lointaine
Où
fleurissait le rococo,
Ou
Manon Lescaut était reine.
Et
s'il hasardait quelquefois.
Un
vieux refrain trop peu sévère,
Ton
coeur l'excusant: — « Ça, tu vois,
C'est
la chanson de ma grand'mère ».
Hélas!
ici-bas tout finit,
Et
les marguerites volées,
Sur
ton chapeau grand comme un nid,
Un
beau jour se sont envolées.
Le
perroquet cher aux amours
Est
mort, maintenant tu te montres
En
longue traîne de velours,
Avec
des bagues et des montres.
Ces
jolis seins que j'ai connus
Se
cachent parmi la dentelle.
Où
sont les corsets ingénus?
Plus
riche, tu te crois plus belle.
Pourtant,
malgré ce que tu dis,
Je
sais bien, moi, que tu regrettes
Les
petits dîners de jadis,
Mon
cinquième et mes cigarettes.
Il
n'est pas vrai ton sérieux.
Et
tu ne m'en veux que pour rire,
J'ai
vu tout cela dans tes yeux,
Ces
grands yeux clairs où je sais lire.
C'est
pourquoi, dimanche, j'irai,
Ayant
quelques écus de reste,
Chez
Hoffmann, endroit consacré,
Faire
un petit repas modeste.
Tu
la connais bien, n'est-ce pas?
Cette
avenante brasserie
Toute
vigne vierge et lilas,
Qui
dans trois jours sera fleurie.
Avec
les moineaux, quel concert!
Viens-y,
comme autrefois, je gage
Que
tu m'aimeras au dessert
En
m'ayant maudit au potage.
Sinon
quelqu'un me vengera
De
la tristesse où tu me plonges;
Le
fantôme d'un gros Ara
Viendra
t'apparaître en tes songes;
Et
ce perroquet pourpre et feu,
Se
mirant aux glaces pâlies
Du
Paradis tendu de bleu
Où
si méchamment tu m'oublies,
Pour
renouveler ses leçons
Et
te reprocher les paresses
De
ce long mois sans trahisons
Puisque,
hélas! il fut sans caresses,
Crête
haute, bec courroucé,
Des
éclairs dans son oeil en bille,
Dira:
— « Manon, c'est insensé:
Vous
déshonorez la famille! »
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