1897
Jules Moy -
L'unicoloriste; Monologue dit par M. Coquelin Cadet |
L’unicoloriste
(L'acteur entre en scène avec trois cadres
contenant chacun une feuille de papier de couleur unie: Blanche,
Violette, et Noire.)
Non, mais comment trouvez-vous ça?
Moi, Anatole Trouillefer, je viens d'être refusé au
salon! Moi, le chef d’une nouvelle école de peinture, le fondateur
des unicoloristes! On comptait déjà parmi les peintres des
impressionnistes, des pointillistes, des tachistes, des paysagistes,
des bandagistes, etc.; il ne manquait que les unicoloristes: je les ai
créés. Les unicoloristes, comme leur nom l'indique, ce sont des
peintres qui n'emploient qu'une seule couleur pour chaque tableau;
c'est moins criard et c'est plus sobre, c'est moins banal et c'est
plus original, c'est moins sale et c'est beaucoup plus propre. Autant
je comprends le mélange des sexes, autant je comprends peu le
mélange des couleurs. Chacun son goût; or c'est le mien, je l'adopte
et je le partage sans discuter: les goûts et les couleurs ne se
discutent pas. Avec l'unicolorisme plus de gâchis, plus de toiles
salies, plus de palettes maculées. Ainsi, jetez un coup d'oeil sur
mes tableaux; ne les trouvez-vous pas lumineux de clarté? Voyez-vous
là-dedans quelque chose de discordant qui accroche l'œil? Au moins
ça vous change des tableaux habituels sur lesquels messieurs les
peintres n'hésitent pas à gâcher trois ou quatre couleurs pour
essayer d'en composer une seule! Et puis, la motié du temps, on n'y
comprend rien dans les tableaux des autres; au moins avec les miens,
inutile de feuilleter un catalogue pour en découvrir le sujet; mes
tableaux parlent d'eux-mêmes.
(il montre le cadre contenant la feuille blanche.)
Pas besoin d’être bachelier pour voir que celui-là
représente des pierrots anémiques qui se lancent des boules de neige
pendant que des communiantes sont en train de manger du fromage à la
crème dans une carrière de blanc d'Espagne sur le Mont-Blanc; en
haut, à gauche, ce sont des colombes qui s'envolent en tenant du
sucre dans leur bec.
Eh bien! vous me croirez si vous voulez: on m'a
refusé ce tableau-là! Pour faire plaisir à ces messieurs du jury,
il aurait sans doute fallu que je change mes communiantes en Loïes-Fullers
et que j'habille mes pierrots comme des Arlequins! Dame! aujourd'hui
c'est comme ça: vous avez des protections, ça va bien; vous n'avez
pas de protec-tions... pfst! (Faire le geste de couper.)
(il montre le cadre
contenant la feuille violette:)
Et ce tableau-là! A-t-on besoin de sortir de l’Ecole
des Beaux-Arts pour le comprendre? Tout le monde voit du premier coup
d’oeil que ce sont des évêques couverts d'améthystes qui sont en
train de se distribuer des palmes académiques dans un champ
d'aubergines.
Eb bien! vous me croirez si vous voulez, on m'a
également refusé ce tableau-là! Pour faire plaisir à ces messieurs
du jury, il aurait sans doute fallu que j'habille mes évèques comme
des cardinaux et que je fasse pousser mes aubergines dans un champs de
navets! Dame! aujourd'hui c'est comme ça: vous avez des protections,
ça va bien, vous n'avez pas de protections... pfst !!
(il montre le cadre contenant la feuille noire.)
Et ce tableau-là! Est-il assez ressemblant? non
seulement il parle, mais il hurle! Inutile de sortir de Polytechnique
pour voir que ce sont des nègres atteints de maladie noire qui sont
occupés la nuit à manger des truffes et à sucer des bâtons de
réglisse dans une mine de charbon sous un tunnel.
Eh bien! vous me croirez si vous voulez: on m'a
refusé ce tableau-là comme les autres! Pour faire plaisir à ces
messieurs du jury, il aurait sans doute fallu que je fasse blanchir
mes nègres à Londres et que je représente l'iintérieur d'un tunnel
par un effet de soleil! Dame! aujourd'hui c'est comme ça: vous avez
des protections, ça va bien, vous n'avez pas de protections... pfst!!!
|
Loïe Fuller
(Marie Louise Fuller) - Amerikaanse danseres (15-01-1862 Fullersburg,
Illinois - 1-01-1928 Parijs)
|