Isidore
Mon ami
Georges Street m’avait dit:
– En
revenant d’Italie, vous repasserez par Vintimile et Nice?
– Très
vraisemblablement.
– Alors, ne
manquez pas, quand vous serez à Nice, de pousser une pointe jusqu’à
N... et d’aller saluer, de ma part, le brave curé de ce village.
– Je n’y
manquerai point.
– Vous le
prierez en outre de vous laisser interviewer son perroquet.
– Son
perroquet?
– Son
perroquet... Ce volatile
est un des plus braves perroquets avec lesquels il me fut jamais
donné d’échanger quelques propos.
– La nature
de ses propos?
– Souffrez,
mon cher Allais, que je vous laisse la volupté de ce frisson nouveau.
Je n’eus
garde, comme aisément vous l’imaginez, de manquer cette promise
aubaine.
N... (je
fausse à dessein l’initiale de la bourgade) n’est éloigné de
Nice que d’une heure quarante-trois minutes de voiture (je fausse
également à dessein l’évaluation de la distance et le mode de
communication).
L’excellent
abbé Z... (je fausse de plus belle) allait précisément sortir,
quand je me présentai à la porte de son presbytère.
L’abbé Z...
(conservons-lui cette désignation fantaisiste) est un de ces dignes
ecclésiastiques comme il en fourmille en Provence, chez lesquels le
mysticisme s’est mué, comme par enchantement, en ronde jovialité.
Le brave
ecclésiastique fut visiblement satisfait du bon souvenir de l’ami
Street. Il s’informa comment il allait et si, bientôt, on aurait l’occasion
de se revoir et de trinquer ensemble sous la lumineuse et embaumée
petite tonnelle.
– Et votre
perroquet, monsieur le curé? Il paraît que vous avez un perroquet
qui n’est pas dans une musette?
– Dans une
musette! Isidore
dans une musette! Qu’y ferait-il, le pauvre?
– Isidore!
Le perroquet s’appelait Isidore!
Tout de suite
– lointaine pourtant, mais pernicieuse encore, influence de
Grosclaude!
– Je pensai
à Isidore de Lara, Isidore de l’Ara!
– Venez,
invita l’abbé, venez avec moi.
Et me faisant
traverser son petit jardin, le digne prêtre m’amena jusqu’au
perchoir d’Isidore, sis au bord d’un petit chemin qui passe
derrière la cure.
Telle une
petite folle, notre volatile s’amusait à imiter les aboiements du
chien, ce pendant que sur la route un épagneul de passage s’éperdait
à rechercher son congénère ainsi clamant.
À la fin,
Isidore éclata d’un rire interminable; se sentant bafoué, le
pauvre chien se retira lentement.
Isidore m’aperçut.
Une évidente
méfiance s’indiqua au rond virant de ses petits yeux, un
grommellement de mauvais accueil ronchonna du plus creux de sa gorge.
– Allons,
Isidore, sois bien gentil avec Monsieur qui vient exprès de Paris t’apporter
le bonjour de ton ami Street. (À moi.) Donnez-lui vos doigts
à compter. (À Isidore.) Compte les doigts de Monsieur.
Je présentai
mes mains larges ouvertes, les doigts écartés.
Isidore compta:
– Une, deux,
trois, quatre, cinq, sept... M...! je me trompe!
Il reprit:
– Une, deux,
trois, quatre, cinq, sept... M...! je me trompe!
Et tant que je
lui montrai ma main, Isidore ne se rebuta pas:
– Une, deux,
trois, quatre, cinq, sept... M...! je me trompe!
Ce fut moi qui
me lassai le premier.
Aussi bien, j’avais
fort besoin de mes deux mains pour me tenir les côtes, tant cette
petite séance de numération parlée dépassait tout ce qu’on peut
rêver de comique!
Et en rentrant
à Nice, le soir, doucement bercé par la voiture, je me surprenais à
murmurer, moi aussi:
– Une, deux,
trois, quatre, cinq, sept... M...! je me trompe!
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